C'est un coup de 💝
Une chose est sûre, en lisant la recherche du temps perdu, je ne le perds pas, mon temps.
Ce deuxième volume a été un régal, et les petits rendez-vous quotidiens avec Monsieur Proust sont devenus des routines s'apparentant à des méditations, un pur délice.
J'ai partagé pas mal de citations, alors je terminerai en ajoutant celle-ci, toute douce et poétique, comme mon ressenti envers cet ouvrage :
"Entre ces jeunes filles, tiges de roses dont le principal charme était de se détacher sur la mer, régnait la même indivision qu'au temps où je ne les connaissais pas et où l'apparition de n'importe laquelle me causait tant d'émotion en m'annonçant que la petite bande n'était pas loin."
C'est parti pour le troisième volume...
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Bien que ceux qui me connaissent sachent que je ne perds pas une occasion de parler de Proust et de la Recherche, il m'est en réalité très difficile d'écrire un retour sur l'un des volumes composant cette oeuvre époustouflante. D'abord, parce que son découpage artificiel en sept tomes me contraint à limiter ma réflexion à l'un d'eux en particulier alors que je ne cesse au cours de mes lectures successives de jeter des ponts de l'un à l'autre, m'attachant à embrasser l'oeuvre dans sa totalité. Ensuite, parce que la relation que j'entretiens avec la Recherche est ancienne, intime, profonde, relevant davantage du sentiment amoureux avec tout ce que cela suppose de passion et d'aveuglement que d'une rigoureuse approche universitaire et qu'au fond, cet amour ne regarde que moi.
Et puis, que vais-je pouvoir dire dans le cadre particulièrement restreint d'une critique sur Babelio? Vous résumer l'argument d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs? Mais même cela, outre que c'est d'un intérêt limité, dépasse le cadre de ce tome-ci. Par exemple, si je vous dis que dans la première partie qui a pour cadre Paris (la seconde se déroulant à Balbec), le jeune narrateur se rend, frétillant d'espoir et d'excitation, à une représentation de l'immense actrice La Berma dans Phèdre dont il ressort incroyablement déçu, incapable de ressentir le plaisir tant attendu — « j'avais beau tendre vers la Berma mes yeux, mes oreilles, mon esprit, pour ne pas laisser échapper une miette des raisons qu'elle me donnerait de l'admirer, je ne parvenais pas à en recueillir une seule » — j'éprouve aussitôt l'irrésistible envie de vous dévoiler ce qui nous sera révélé dans le tome suivant, le côté de Guermantes :
« (…) le talent de la Berma qui m'avait fui quand je cherchais si avidement à en saisir l'essence, maintenant, après ces années d'oubli, dans cette heure d'indifférence, s'imposait avec la force de l'évidence à mon admiration. »
Rien que sur ce minuscule épisode, il y aurait beaucoup à dire. Je pourrais vous dire que l'insondable déception du narrateur assistant pour la première fois à la représentation tant désirée illustre le hiatus maintes fois énoncé dans la Recherche entre « la porte d'or » de l'imagination et « la porte basse et honteuse » de l'expérience. En tirant ce fil, je pourrais également vous parler de l'incapacité de notre esprit, minutieusement analysée par Proust, à penser à la fois l'état antérieur, celui où l'on rêvait de la Berma et l'état actuel, celui où, assistant enfin à la représentation tant attendue, on ne ressent rien. Même si ce trait psychologique n'est pas explicitement souligné par Proust dans l'épisode de la Berma, il y court en filigrane. Il fait partie, avec d'autres, des quelques obsessions de l'auteur que l'on retrouve, sous des formes diverses et changeantes, tout au long de l'oeuvre. Plus précisément, il appartient aux « lois générales des caractères » que l'écrivain, s'appuyant sur un rigoureux travail d'introspection, tente de mettre au jour. À l'occasion de sa récente et formidable chronique du Métier de vivre, Eduardo (@creisifiction), m'apprenait que Cesare Pavese le mentionne dans son journal :
« Proust est obsédé par l'idée que tout espoir, en se réalisant, soit remplacé exactement par le nouvel état et efface en conséquence l'état précédent. »
Cet effacement de l'état d'esprit antérieur par l'état d'esprit actuel trouve une illustration parfaite lors de l'introduction tant espérée et enfin advenue du narrateur chez Odette Swann dans la première partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs :
« J'avais pu croire pendant des années qu'aller chez Mme Swann était une vague chimère que je n'atteindrais jamais ; après avoir passé un quart d'heure chez elle, c'est le temps où je ne la connaissais pas qui était devenu chimérique et vague comme un possible que la réalisation d'un autre possible a anéanti. »
Je pourrais également vous parler, en continuant à m'appuyer sur l'épisode de la Berma, du constat, là encore maintes fois analysé dans la Recherche et d'une justesse confondante, selon lequel il est impossible d'accéder à un plaisir en s'y efforçant. le plaisir se donne, il ne se prend pas. Une autre façon de le dire : ce n'est pas par un acte de volonté qu'on ressent du plaisir ou du chagrin, mais dans l'oubli et l'abandon. C'est lorsque le narrateur est devenu indifférent à la Berma, c'est lorsqu'il n'est plus obnubilé par la nécessité de ressentir un plaisir indicible lors de la représentation, c'est lorsqu'il cesse d'énoncer mentalement les raisons qu'il aurait d'éprouver ce plaisir qu'enfin l'incroyable talent de l'actrice s'impose à lui dans toute sa plénitude.
Mais ce dont je voudrais vous parler en réalité nécessite de prendre encore un peu d'altitude. En m'appuyant sur les deux expériences antagonistes du narrateur lors de la représentation de la Berma dans Phèdre, l'une, décevante, restituée dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs, l'autre, épanouissante, reproduite dans le côté de Guermantes, je souhaiterais développer un thème essentiel à mes yeux que Proust résume joliment dans la seconde partie du volume :
« Mme de Sévigné est une grande artiste de la même famille qu'un peintre que j'allais rencontrer à Balbec et qui eut une influence si profonde sur ma vision des choses, Elstir. Je me rendis compte à Balbec que c'est de la même façon que lui qu'elle nous présente les choses, dans l'ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d'abord par leur cause. »
Ce que nous dit Proust à travers son narrateur, c'est que la révolution picturale induite par l'impressionnisme a eu une influence profonde sur sa vision des choses. Les peintres impressionnistes et leurs précurseurs, en s'attachant à restituer le réel dans l'ordre des perceptions, nous montrent d'abord l'illusion qui nous frappe, d'abord l'effet, non la cause. Proust précise quelques pages plus loin qu'Elstir ne cherche pas à exposer les choses « telles qu'il savait qu'elles étaient, mais selon les illusions optiques dont notre vision première est faite. »
Ainsi que le suggère Vincent Descombes dans Proust, philosophie du roman, l'écrivain songe sans doute ici au mot de William Turner, qu'il cite dans son texte sur Ruskin. À un officier de marine qui lui reprochait d'avoir dessiné un vaisseau sans ses sabords, le peintre rétorqua que ces sabords n'étant pas visibles depuis le mont Edgecumbe, il n'avait pas à les représenter : « Mon affaire est de dessiner ce que je vois, pas ce que je sais. »
Cette découverte, fondamentale pour le narrateur, ne l'est pas moins pour Marcel Proust qui, tout au long de la Recherche, s'attache à décrire l'expérience des choses, l'impression qu'elles produisent, plutôt que les choses elles-mêmes, autrement dit, à peindre ce qu'il voit ou ce qu'il ressent, pas ce qu'il sait, ou encore à « peindre les erreurs dans une recherche de la vérité » selon la formule de Vincent Descombes.
Peindre les erreurs au sens de Mme de Sévigné ou d'Elstir fixant un mirage, c'est peindre un enchantement : ainsi lorsque le narrateur, rêvant d'entrer dans le Saint des Saints, la « demeure enchantée » des Swann, se les représente comme des « êtres surnaturels » n'appartenant pas à la communauté des mortels, ou lorsqu'à Balbec deux ans plus tard, découvrant pour la première fois la petite bande des jeunes filles progressant le long de la digue « comme une lumineuse comète », il les pare des grâces et des beautés créées par son imagination. Mais lorsque le narrateur fait connaissance avec le baron de Charlus et, trop naïf et trop jeune pour saisir, sous le discours emphatique et ironique du baron, les sous-entendus sexuels, ce n'est plus un enchantement qu'il nous peint, c'est le fait de se tromper sur quelqu'un.
Peindre les erreurs, peindre l'aveuglante clarté afin de mettre en lumière la vérité tapie dans les ténèbres… N'est-ce pas là l'explication ultime de la construction de la Recherche, ainsi que l'une des raisons pour lesquelles cette oeuvre unique a donné lieu dès sa parution et encore aujourd'hui à une somme de malentendus et de contresens assez considérable? Proust en avait conscience, ainsi qu'en témoigne une lettre à Jacques Rivière en date de février 1914 :
« Je suis donc forcé de peindre les erreurs, sans croire devoir dire que je les tiens pour des erreurs; tant pis pour moi si le lecteur croit que je les tiens pour la vérité. le second volume accentuera ce malentendu. J'espère que le dernier le dissipera. »
Pour quelqu'un qui avait tant à coeur de se faire comprendre et aimer que Marcel Proust, ce dut être une perspective fort désagréable, voire franchement angoissante. Mais l'écrivain savait que c'était le prix à payer pour bâtir une oeuvre plus grande que lui.
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Ce livre a marqué un tournant dans ma vie de lecteur. Il a ouvert les portes à un univers littéraire fascinant et m'a permis de découvrir la puissance des mots.
Dès les premières pages, j'ai été happé par l'atmosphère unique du récit. L'auteur a un talent exceptionnel pour nous transporter dans le temps et nous faire vivre aux côtés des personnages. J'avais l'impression d'être assis à leurs côtés, partageant leurs conversations et leurs émotions.
La plume de l'auteur est à la fois précise et poétique. Ses descriptions sont si vives que l'on peut presque visualiser les paysages et les personnages se dessiner devant nos yeux. L'histoire est captivante et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.
Ce livre est bien plus qu'un simple récit. C'est une véritable ode à la vie, à l'amour et à la beauté du monde. Il nous invite à réfléchir sur nos propres choix et à savourer chaque instant de notre existence.
Je suis profondément reconnaissant envers cet écrivain grandiose pour m'avoir offert cette expérience littéraire inoubliable. Son livre a changé ma vision du monde et m'a donné envie de poursuivre mon exploration de la littérature.
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