J’ai aussi frayé avec des auteurs français : Gide, Proust, Malraux, Maupassant, Flaubert, Balzac, Chateaubriand… Leur langue a une prestance et un aplomb que j’envie. Chez ces écrivains, l’écriture n’est pas un instrument de survie, c’est un travail d’orfèvre, un art en soie, à la texture riche qui donne un ourlet à ce qu’elle décrit.
Tout en m’inclinant devant leur maîtrise, je ne peux m’empêcher d’estimer qu’il manque à leurs phrases endimanchées une ou deux taches. C’est ça : le français de France est immaculé. Il lave plus blanc.
Un rêve prend du temps à se défaire. Au début, chaque fois que j’ai fait la gueule, exaspéré par la mer d’huile de notre relation, le bateau ivre de mes espérances n’a pas bronché. Puis, les premières lézardes sont apparues. Le lent sapement du réel a fait son œuvre, me dégrisant complètement.
Nous avons fini par nous rendre à l’évidence qui traînait dans un coin avec les draps défaits : nous n’allions nulle part. On ne peut pas dériver indéfiniment. Nous avons fini par nous échouer, envasés dans une feinte indifférence. Peu de dommages apparents sinon un trou, noir, par où s’engouffrait l’amer. Il était temps d’abandonner le navire.
Il y a des milliers d’années, la survie des femelles était liée à leur capacité d’identifier le mâle habile chasseur. Mais ça ne suffisait pas. Il fallait également qu’il ne soit pas tenté de donner la nourriture qu’il rapportait à des rivales. Pour s’assurer un approvisionnement régulier, elles apprirent vite à négocier la valeur de leur sexe. D’où notamment le développement de leur poitrine et de leur adiposité stratégiquement placée, inutile d’un point de vue biologique. Les femmes fatales d’aujourd’hui sont les dignes héritières de ces habiles négociatrices.
Se regarder soi-même, c’est un peu comme fouiller la monnaie au fond de sa poche : on veut croire que cet examen sommaire nous fera trouver ce dont on a besoin. Cet inventaire se révèle généralement décevant : il nous manque, la plupart du temps, un sou pour conclure. Or, ce sou, c’est précisément ce qui intéresse l’autre au plus haut point.
Oui, notre ego est énorme, mais au moins, il a de la retenue. Aucun correcteur ne l’avouera, mais tous maudissent secrètement ceux qui ne les considèrent que comme des réparateurs Maytag de la langue, des épouilleurs de textes. Sachez-le : pareillement aux augures, ces gardiens de la foi dans la Rome antique, le correcteur détient un pouvoir précieux. Lui seul peut accorder la clémence des dieux capricieux de la langue devant les maigres offrandes des auteurs. Le correcteur est un médium.