Un jour d’hiver, alors que je devais avoir neuf ou dix ans, je me fis voler une rondelle de hockey à l’effigie du club Canadien de Montréal par un voyou de la 12e avenue du nom de Leroux. En rentrant à la maison, je gagnai un peu trop vite ma chambre, ce qui piqua la curiosité de ma mère qui avait déjà deviné qu’il s’était passé quelque chose à la patinoire du parc Saint-Jean-Baptiste. Quelques secondes plus tard, elle entra dans ma chambre, s’assit sur le bord du lit et, après que je lui eus raconté ce qui venait de se passer, les yeux rougis par les larmes, me dit :
« Tu sais, tu viens de perdre une rondelle de hockey…
— Pas n’importe laquelle rondelle, maman !
— Oui, je sais, c’était celle où il y avait dessus le grand "CH" du Canadien. Mais ce n’était qu’une rondelle…
— Oui, mais…
— Mais ce n’était qu’une rondelle quand même ! affirma-t-elle tout doucement, sur un ton néanmoins péremptoire qui n’admit aucune réplique. Une rondelle, poursuivit-elle, faite de caoutchouc dur que tu pourras te procurer dans un magasin un peu plus tard. Crois-tu vraiment qu’il vaille la peine de pleurer pour ça ?
— Mais maman, c’est pas comme si je l’avais perdue, cette rondelle. On me l’a prise en me menaçant avec un bâton !
— Oui, je sais, mais là, maintenant, tu es avec ta mère qui t’aime plus que tout au monde. Tantôt, tes frères seront là et, avec ton père, on se mettra tous à la table pour manger le bon spaghetti italien que j’ai préparé. Du bon spaghetti avec du pepperoni, comme tu l’aimes. Alors, dis-moi : qui a volé qui tout à l’heure au parc ?
— C’est lui qui m’a volé, dis-je sur un ton mal assuré.
— Non, c’est lui qui s’est volé lui-même.