AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9780853034001
248 pages
Valentine Mitchell (01/01/2001)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :

" Recherche d'un refuge : Les Juifs et les consuls des États-Unis en Allemagne nazie, 1933-1945" analyse les instructions données aux consuls américains, basés en Allemagne nazie, par certains hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères à Washington, pour "décourager" les Juifs d'Allemagne de se rendre aux États-Unis.
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
À LA RECHERCHE D'UN REFUGE : LES JUIFS ET LES CONSULS DES ÉTATS-UNIS EN ALLEMAGNE NAZIE 1933-1941
----------

Cet ouvrage donne un exemple hallucinant d'hypocrisie poussée à l'extrême par d'honorables fonctionnaires du ministère des affaires étrangères ("State Department") des États-Unis lors de la dernière Guerre mondiale. le nom du sieur Breckinridge Long (1881-1958) restera éternellement collé à cette scandaleuse politique pharisienne.
Cela fait un bout de temps que j'avais ce triste sire à la langue fendue dans le collimateur et je me félicite de la publication de l'ouvrage de l'historienne Bat-Ami Zucker "In Search of Refuge " qui justement analyse cette politique de double langage par les consuls américains aux Juifs qui essayaient par tous les moyens de fuir le paradis d'Adolf Hitler, ses chemises brunes et uniformes noirs.

Bat-Ami Zucker est une sabra (Juive née en Palestine), professeur d'histoire à l'université de Bar Ilan (Tel-Aviv) en Israël et l'auteure de "Cecilia Razovsky and the American Jewish Women's Rescue Operations in the Second World War " ou 'Cecilia Razovsky et les opérations de sauvetage par des juives américaines lors la Seconde Guerre mondiale' de 2008. Cette Cecilia Davidson-Razovsky (1891-1968), fille de pauvres immigrés juifs, diplômée de l'université St.-Louis, directrice du Conseil National des femmes juives et membre de plusieurs organisations de sauvetage et d'aide aux immigrées juives, était toute l'opposée de Mister Long, qui lui préférait ses chevaux de course aux pauvres Juifs !

Pour montrer que je ne m'énerve pas pour des prunes, voici les instructions de Breckinridge Long aux consuls américains en Europe. Après avoir gentiment expliqué qu'il ne s'agissait pas d'opposer un refus brutal aux demandes d'immigration de ces pauvres bougres de Juifs, il spécifiait : "Nous pouvons multiplier les obstacles, demander des documents supplémentaires, avoir recours à différentes finesses administratives en vue de remettre à plus tard ("postpone, and postpone and postpone " sic ! - page 41) l'octroi de visas" !

Le résultat de cette attitude fut que le nombre de visas effectivement décernés aux ressortissants d'Allemagne ne représentait qu'un faible pourcentage du nombre de visas prévus par le système des quotas tel qu'il avait été fixé par le parlement américain. En d'autres termes, des milliers de Juifs auraient pu avoir la vie sauve si ces bureaucrates avaient délivré tous les visas qu'ils étaient autorisés à remettre !
Concrètement le remplissage du quota allemand et autrichien était dans la période 1933-1941 de 5,3 % en 1933 et 40,6 % en 1939, soit une moyenne de seulement 17,5 % !

Breckinridge Long, scion de la bonne bourgeoisie, ami du président Franklin Roosevelt, diplômé de l'université de Princeton, de 1933 à 1936 ambassadeur en l'Italie de Mussolini, de 1940 à 1944 secrétaire d'État adjoint aux affaires étrangères, sera souvenu comme l'homme qui faisait obstacle aux opérations de sauvetage des Juifs, a restreint radicalement leur immigration et est allé jusqu'à falsifier leur nombre devant le Congrès et Sénat américain. En 1944, il est allé jouir de sa retraite et de son écurie de chevaux de grande valeur, sans être inquiété pour autant. Sa défense était cependant des plus simplistes : il avait fait son devoir et s'était efforcé d'éviter que des espions teutons ou bolchéviques viennent s'installer dans son pays !

Je trouve que Bat-Ami Zucker est bien indulgente pour ce Trump d'une autre époque (quoique hélas plus intelligent et conséquent). Cela n'est pas le cas de Richard Breitman et Alan Kraut dans leur très bon ouvrage "American Refugee Policy and European Jewry 1933-1944", ni de Saul S. Friedman dans son excellent "No Haven for the Oppressed" ou 'Pas de havre pour les opprimés '.
Pour la couleur locale, il y a la biographie par William Dodd Jr. de son père, l'ambassadeur de Roosevelt à Berlin de 1933 à 1937 "Ambassador Dodd's Diary" et de sa soeur, Martha Dodd, "Through Embassy Eyes" ou "L'ambassade regarde". Sans oublier le best-seller d'Erik Larson "Dans le jardin de la bête", qui entre autres retrace les aventures de Martha Dodd, devenue espionne à la solde de l'URSS.

L'auteure a écrit une bonne synthèse de l'antisémitisme aux États-Unis : son origine dans les années 20 (propagé notamment par Henry Ford des bagnoles du même nom), son expansion après la crise économique de 1929 et son apothéose dans les années 30/40 et qui s'est traduit par toutes sortes de restrictions à l'immigration juive. L'ironie amère veut qu'un certain nombre de Juifs fortunés étaient favorables à ces restrictions de crainte que ces pauvres Juif d'Europe centrale et de l'est pourraient susciter des réactions antisémites ! Bizarrement pourtant cette réalité est passée sous silence dans cet ouvrage.

Ce qui est aberrant c'est le pouvoir décisionnaire laissé par le système aux consuls et agents consulaires, qui, sans contrôle, disposaient ainsi de la survie de milliers de personnes, d'autant plus que les oukazes de Washington étaient très souvent très vagues et permettaient une marge d'interprétation carrément excessive. L'élément-clé pour oui ou non accorder un visa était que le demandeur ne devait en au cas devenir une charge publique pour les États-Unis (LPC: "likely to become a public charge"). Autrement dit, il devait prouver qu'il avait (et aura) suffisamment de ressources propres ou introduire l'affidavit d'un proche résidant aux États-Unis qui lui garantissait une indépendance financière.

Il y avait en Allemagne 30 consulats américains qui pouvaient délivrer des visas de visite, mais seuls 3, ceux de Berlin, Hambourg et Stuttgart étaient autorisés à remettre des visas d'émigration, auxquels, après l'incorporation de l'Autriche dans le Reich en 1938, s'ajoutant celui de Vienne. La grosse majorité des agents consulaires était, sous l'influence du département d'État, super prudents pour ne pas dire réticents à accorder des visas et des consuls compatissants comme Raymond Geist une exception. Une demande de visa pouvait prendre un délai d'attente allant jusqu'à 4 ans.
Face à ces difficultés, des Juifs de ces 2 pays optaient pour des visas de visite avec la ferme intention d'y rester et d'essayer d'obtenir outre-Atlantique des papiers américains, ce qui était loin d'être évident. Sur 41.506 de ces "visiteurs" pas plus de 6.000 y sont parvenus.

Il est virtuellement impossible d'avancer des chiffres fidèles quant au nombre d'hommes, femmes et enfants juifs qui auraient pu avoir la vie sauve sans l'attitude arbitraire et la carence de hauts fonctionnaires à Washington et dans les consulats américains, mais qu'il s'agit de dizaines de milliers de personnes ne saurait faire l'ombre d'un doute. En somme, une page noire dans l'histoire des États-Unis que le Trump, avec son idée fixe d'un mur avec le Mexique, risque de répéter.

Commenter  J’apprécie          2310


autres livres classés : immigrationVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Autres livres de Bat-Ami Zucker (1) Voir plus

Lecteurs (1) Voir plus




{* *}