Toucher les mots
Enfant, je savais que la peau des mots peut se toucher,
que les arbres marchent à leur allure
et se parlent sans trop insister sur leurs racines.
Enfant, je savais tout, sauf qu’il faut désapprendre.
Et retourner au chemin où nous nous sommes perdus,
ignorer des cailloux posés en d’autres vies,
en ramasser parfois, puis partir
vers le premier sentier qui le demande.
Enfant, je savais que la peau des mots peut se toucher,
que son épiderme est parsemé de sens,
souvent un peu cachés, comme il se doit.
Ce que m’enseignèrent ces mots, à moi l’enfant tactile,
c’est qu’un seul geste imprécis dessine l’univers.
Promener un feu
Pour l’anniversaire de Louis Scutenaire
Avant, j’avais un feu, je l’emmenais partout,
au fond des forêts qui sont des villes,
au coin des cités défenestrées.
Pour le carburant de ce feu, je transformais,
essentiellement, les instances et les oublis des autres
en une essence de moyenne qualité.
L’idée n’était pas en premier lieu d’avoir chaud
ou bien de vous cuire, mes chers semblables.
Si je traînais ce feu toujours avec moi,
c’était pour la seule paresse de la flamme.
Il est toujours rassurant d’avoir l’inutilité pour quête.
On ne peut pas trouver de plus douce façon de se perdre.
Oh, il m’arrivait bien de me brûler. C’est comme les amis
les plus chers : ils vous collent souvent un peu à la peau.
Mais tant de gens autour de nous
s’éteignent pour un rien aujourd’hui, alors…
alors comme on le fait pour un bon chien,
longtemps j’ai fidèlement alimenté mon feu.
Qu’il soit parti un matin est strictement son problème,
qu’il soit parti en fumée était sa façon, nous n’avions
sans doute plus que quelques étincelles à nous dire.
Avant, j’avais un feu, je l’emmenais partout,
au fond des forêts qui sont des villes,
au coin des cités défenestrées.
En ce temps d’incendie, j’y repense parfois.
Écrire l’autre
Les passants me regardent écrire. Je suis leur moineau
d’encre. Voilà des mots jetés, d’autres qui s’apprivoisent.
Ce ne sont ni bouées, ni mâts, ni perles rares. Car je les
veux réduits aux plus simples adages de ces yeux incon-
nus qui me regardent écrire. Ce qui pousse en moi ou ne
pousse pas se laisse approcher. Si c’est un poème, j’at-
tends une femme. Si c’est une prose, j’y attends la pluie.
Rencontre avec Carl NoracDans le cadre du cycle «Les visiteurs du soir», le Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) de la BnF propose des rencontres avec les acteurs de la littérature pour la jeunesse. Auteurs, illustrateurs, éditeurs ou conteurs viennent présenter leurs projets et partager leurs expériences.Cette séance accueille l'écrivain et poète belge Carl Norac. Auteur de plus de 80 livres de contes ou de poésies pour enfants traduits en 47 langues, il a été intronisé en janvier 2020 poète national en Belgique.Rencontre animée par Mateja Bizjak-Petit, metteuse en scène, poétesse et traductrice franco-slovèneSéance enregistrée le 11 janvier 2024 à la BnF I François-Mitterrand.
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