Ce tome est le premier d'une série, débutée en 2013. il comprend les épisodes 1 à 5, écrits par Kurtis J. Wiebe, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Roc Upchurch.
Le tome s'ouvre avec 4 pages de portraits des Queen, une page par aventurière, Betty, Dee, Hanah et Violet (par ordre alphabétique pour ne pas vexer ces dames). L'histoire commence alors que l'assemblée gouvernante de Palisade (une ville) débat du manque à gagner que constituent les mercenaires qui se défoulent en ville le soir, dans des bastons de bar, à force de provoquer des dégâts et de créer une forme de sentiment d'insécurité. Leur réunion est brutalement interrompue par un individu projeté à travers la fenêtre, au milieu d'une rixe impliquant les Rat Queens. le lendemain dans la geôle de Palisade, Sawyer Silver (le responsable de la police) explique à un 5 groupes de mercenaires que le maire Kane a accepté de les libérer sous réserve qu'ils accomplissent chacun une quête. Les Rat Queens doivent déloger des gobelins d'une grotte. Les Peaches (4 individus habillés de vêtements couleurs pêche) doivent mettre à sac un camp de brigands. Les 4 Dave (4 individus prénommés Dave) doivent s'occuper des revenants à la clôture du cimetière. Les frères Ponies (4 frères avec des queues de cheval) doivent occire un ogre. L'Obscurité Obsidienne (4 sorcières) doit nettoyer les latrines d'un baraquement. Ce dernier groupe est le premier à constater qu'il s'agit d'un guet apens.
Dès la parution du premier épisode, cette série a joui d'un excellent bouche à oreille. Kurtis J. Wiebe est, entre autres, le scénariste de l'excellent "Green wake" et de la série "Peter Panzerfaust". Cette série s'inscrit donc dans le genre "heroic fantasy", respectant toutes les conventions usuelles de ce genre parfois un peu limité. Guerriers, sorciers, ogres, gobelins : ça, c'est fait. Guerriers pas très futés qui tapent avant de réfléchir : c'est fait aussi. Troll pas très futé ne servant que d'opposant générique qui pue : oui, il y en a. Voleur compétent mais pas assez discret pour ne pas se faire prendre : il y a une scène qui remplit le quota.
Bref, Wiebe insère tous les stéréotypes propres à ce genre. En scénariste matois, il intègre dès le début une variation sur le schéma habituel, en prenant comme personnages principaux 4 femmes, plutôt que 4 bellâtres musclés. Il rajoute une petite couche d'originalité, dans la mesure où il s'agit de quatre drôlesses dessalées et délurées, qui éprouvent des sentiments, mais qui aiment bien aussi la bagatelle, et qui apprécie l'expansion de la conscience par le biais de produits psychotropes qui se fument ou qui se mangent. Betty (une sorte de petite elfe toute mignonne) a des réparties qui semblent attester d'une intelligence limitée, mais aussi de talents inattendus (ceux d'enquêtrice, fine observatrice). Dee remplit le rôle de sorcière de la troupe, mais elle a le fâcheux défaut d'être athée (paradoxale pour quelqu'un qui en appelle aux puissances occultes).
Au premier regard, les dessins de Roc Upchruch évoquent ceux de
Fiona Staples pour la série Saga de
Brian K. Vaughan. C'est-à-dire qu'ils ont été réalisés à l'infographie, avec des couleurs qui servent à étoffer les traits correspondants aux contours des formes. Il s'agit d'une ressemblance dans l'exécution des dessins. Les personnages sont plus ou moins dessinés avec application, plutôt plus pour leur visage et moins pour leur corps. Il en va de même pour les arrières plans, parfois volontairement floutés pour rendre compte d'une mise au point faite sur le premier plan. le fait est que
Fiona Staples fait preuve de plus d'inventivité et de maîtrise dans cet outil infographique qu'Upchurch. Certaines cases sont d'un excellent niveau professionnel, d'autres comprennent des éléments relevant de l'amateurisme. Par contre le découpage des séquences est très vivant et facilement lisible. Il sait transcrire toute la vivacité d'un combat, en particulier les acrobaties de Betty lors du combat contre le troll.
Le soin apporté aux visages fait exister ces 4 donzelles de manière satisfaisante, et leur confère des expressions justes et parlantes, sans tomber dans l'exagération mignonne. le lecteur s'attache donc facilement à ces demoiselles facétieuses, un brin immatures, mais éprouvant des sentiments dépourvus de niaiserie, et à la franchise salutaire. Sans être d'une originalité renversante, l'intrigue réserve de nombreuses surprises qui confèrent un bon rythme au récit et qui maintiennent l'attention du lecteur.
Dans le cadre étroit d'un récit d'Heroic Fantasy, Kurtis J. Wiebe et
Roc Upchurch apportent plusieurs éléments originaux qui permettent à l'histoire de sortir du lot et de dépasser le principe de la quête basique pour découvrir un trésor, après avoir occis moult
créatures monstrueuses (de type "Donjons & Dragons" en décors naturels). Wiebe dose avec habilité ses ingrédients pour que les 4 héroïnes ne soient ni des saintes nitouches, ni des maries couche-toi-là, encore moins des décalques de personnages masculins en jupon avec une grosse poitrine. Il a conçu une intrigue substantielle qui intègre les codes propres à l'heroic fantasy, avec de réelles surprises. Upchurch réalise des dessins qui gagneraient à être un peu étoffé, doté d'une apparence originale et établissant avec délicatesse la personnalité des 4 reines. le lecteur se laisse facilement emmener dans cette aventure, aux côtés de ces dames peu conventionnelles, et politiquement incorrectes, sans en devenir racoleuses. Ils ne sont pas loin des 5 étoiles, Wiebe n'ayant qu'un pas à franchir pour transformer les éléments originaux en support de réflexion (il y était presque avec la barbe de Violet, ou encore avec Betty mi-idiote mi-géniale, en particulier avec son don d'observation). Finalement ces 2 auteurs ont réussi leur pari de créer des personnages féminins originaux, qui ne peuvent pas être réduits à un amalgame de clichés.