Citations sur Enfant, je me souviens... (41)
La page blanche, c'est la feuille vide qu'il faut remplir soi-même.
La poussière d'or, c'est le fruit de la patience et du travail, un fruit que l'on ne cueille que pour l'offrir aux autres.
Grand-père n'aurait pas conservé le même ouvrage sur lui pendant si longtemps sans une bonne raison. Fallait-il y décrypter un message ? Le titre était-il le sésame de cette énigme à l'issue tragique ?
Je n'en étais pas sûr. Parce que plus j'y pensais, plus l'évidence trottait dans mon esprit.
Le marque-page.
Tous s'était passé comme si le garçon de Moser avait voulu me garder dans son monde, m'empêcher de rejoindre le bon côté du grillage, le monde des gentils bourgeois bien propres, comme si, pour l'enfant que j'étais, l'enfer m'avait littéralement tiré par les pieds.
(Frontière de Laurent Binet)
Les souvenirs sont indispensables parce qu'ils sont constitutifs de notre identité.
Nous savons maintenant que se souvenir, ce n'est pas sortir un fichier d'une boîte d'archives, mais rebâtir des circuits neuronaux qui réinventent le souvenir.
La page blanche, c'est la feuille vide qu'il faut remplir soi-même.
La poussière d'or, c'est le fruit de la patience et du travail, un fruit que l'on ne cueille que pour l'offrir aux autres.
(Eric-Emmanuel Schmitt)
La belle nuit pouvait dorénavant commencer. Durant quelques heures, nous allions oublier notre condition. Il y aurait un grand bonheur et on s'en souviendrait durant des semaines, comme des pépites d'or trouvées sous nos pas et qui nous aideraient à vivre. C'est sans doute pour cela que le père Fiscalo célébrait plusieurs fois Noël dans une même année. Je m'en suis rendu compte plus tard, en calculant un peu dans ma tête, quand celle-ci a commencé à grandir et à se remplir.
Ecoutez-moi bien vous tous bande de salopards ! Voici Noël ! Noël, c'est la naissance de notre Seigneur, bordel ! Noël, c'est la putain de plus belle fête de toute l'année, puisque c'est la naissance du Sauveur. Un jour, nous serons tous sauvés, je vous le promets ! Bien avant ceux de la ville basse qui iront se faire foutre et devront attendre des millénaires, si c'est le contraire je me coupe les couilles ! Nous passerons devant ces fils de pute dans de grandes limousines métallisées et climatisées, ornées de jantes dix-huit pouces somptueuses et conduites par des bombes sexuelles américaines. Il y aura des cigares, du whisky, de la viande, des haricots rouges et du pain pour tout le monde. On bouffera tout et on picolera pour l'éternité. Nous aurons chacun trois téléphones portables et deux télévisions, et tous ceux de la ville basse qui chient pour l'instant dans des toilettes en or se torcheront le cul avec des épines de cactus, je vous le promets ! Foi de père Fiscalo ! Tous les soirs, nous irons au restaurant tandis qu'eux n'auront que de la semoule dans des assiettes en papier ! Ceux qui dorment aujourd'hui sur les trottoirs auront des lits crémeux et doux comme le sein d'une mère. Les derniers seront les premiers, et inversement, c'est écrit quelque part ! Un Sauveur est né, il y a bien longtemps, il ne nous a encore pas vraiment sauvés, la vache, mais ça viendra ! La route est longue jusqu'au Barrio Flores, et on n'est pas tout seuls à vivre dans la merde, raison de plus pour fêter Noël afin de lui rappeler qu'on existe et pour qu'il ne s'endorme pas sur le rôti ! Oui, Seigneur, je t'en conjure au nom de toutes et de tous, bouge-toi un peu le cul ! Je sais bien qu'une putain de croix, c'est lourd à porter : nous autres, on connaît ça ! Avec toutes celles qu'on supporte, on pourrait ouvrir un magasin. On en a de toutes les tailles et de tous les poids. Bon, je ne vais pas t'ennuyer plus longtemps Seigneur, fais ce que tu as à faire. Après tout, tu es assez grand. Amen. Soyez bénis tous autant que vous êtes, mes chères soeurs et mes chers frères ! Vous êtes tous des enfoirés mais vous êtes ma seule famille et je vous aime plus que tout au monde ! Joyeux Noël à tous !
Il aimait bien parler le père Fiscalo, et nous, on aimait bien l'entendre. Sa chaire, c'était un escabeau branlant volé jadis dans un chantier et sur lequel il se perchait pour nous dominer un peu. Avec sa salopette couverte de taches qu'il ne quittait jamais, dont les poches étaient bourrées de vieux boutons, de morceaux de ficelle, de boulons, de clous, de bouteilles en plastique et d'une bible usagée dont il avait déchiré les pages qui ne lui plaisaient pas, il avait des allures de garagiste, et quand on le lui faisait remarquer, il nous répondait que ce n'était pas faux, qu'il était en effet une sorte de mécanicien, de mécanicien des âmes, mais que, hélas, il lui manquait souvent des outils pour les réparer convenablement.
Ils avaient récupéré un jour une inépuisable cargaison d'alcool à brûler d'un navire soviétique abandonné par tout son équipage qui avait cru trouver chez nous la liberté qu'ils n'avaient pas chez eux. Les malheureux ! Je ne sais pas trop ce qu'ils sont devenus ces marins du bout du monde, le seul que nous avons connu, parce qu'il venait de temps à autre dans le Barrio en tendant la main, sans comprendre que c'était le dernier endroit de l'univers pour venir mendier. On avait bien essayé de lui expliquer que mendier chez nous, c'était comme espérer trouver la mer au milieu du désert.