Arthur collait aux basques de Milo
durant toutes les récréations, ainsi qu'au réfectoire, l'assommant de ses blagues aux chutes toujours douteuses et rarement drôles. De temps à autre, Milo déchargeait sur le pauvre garçon un trop-plein de rancœur, le noyant sous des propos blessants avant de l'envoyer se faire pendre ailleurs. Arthur s'en allait chercher un autre compagnon d'infortune jusqu'au soir où la réconciliation s'effectuait sur Facebook. Milo laissait faire, autant par lassitude que par besoin : si elle était de piètre qualité, la présence d'Arthur comblait néanmoins une solitude parfois encombrante.
Cette fois, Alexis pila net sur place, l'angoisse chevillée au cœur. Nora n'avait aucune chance face à Tiphaine, et à cette faiblesse s'ajoutait encore son ignorance de la situation. Si Tiphaine projetait de régler ses comptes ce soir-là, Nora lui ouvrirait grand sa porte et la ferait rentrer chez elle, sans se douter un instant qu'elle accueillait la femme trahie et non la gentille voisine.
Très vite, le naturel joyeux de la jeune fille déteignit sur l'ambiance et, peu à peu, Milo se laissa gagner par cette salvatrice insouciance.
Alexis Renard se targuait d'être rusé. A plusieurs reprises, il avait gagné des procès en empruntant des chemins sinueux qui avaient désarçonné ses adversaires. De plus, il avait une vivacité d'esprit capable de lui faire voir une situation sous différents angles.
Au cours de ses fouilles, il tomba sur un fait divers qui le mit en alerte. L'article, paru huit années auparavant dans le journal local, relatait le plus effroyable des accidents domestiques : Maxime Geniot, alors âgé de six ans, avait trouvé la mort en tombant par la fenêtre de sa chambre située au premier étage de la maison familiale.
L'enfer ne pouvait durer éternellement. Ca finirait un jour. Bon, peut-être pas tout de suite, parce qu'elle allait mettre un certain temps à dépasser sa honte et surmonter son amour-propre, mais ce jour arriverait, forcément. Et ce jour-là, il l'accueillerait, les bras ouverts, lui ferait mille promesses, lui pardonnerait tout, lui proposerait de remettre les compteurs à zéro. Il en avait marre de vivre comme un ermite, marre de la solitude alors qu'elle était là, à quelques kilomètres à peine de lui. Si proche et pourtant tellement distante. Elle et les enfants. Son moteur, sa motivation, ce qui lui permettait de se lever chaque matin pour accomplir sa tâche, jouer son rôle de père, d'amant, de citoyen...
Apprécier quelqu'un mettait cette personne en danger.
Dès lors, ne pas l'aimer devenait une preuve d'amour.
Il mit assez vite en pratique les préceptes d'une telle logique : il commença par se détacher de Tiphaine et Sylvain, terrorisé à l'idée qu'ils disparaissent à leur tour. S'il les perdait, il serait seul au monde.
Milo était grand pour son âge. C'était un adolescent dont la croissance s'était emballée de manière tyrannique, sans ordre ni logique.
Derrière ces façades de respectabilité, des jardins secrets s’étendent de part et d’autres d’une haie, dissimulant sous les déchets de nos vies tourmentées le cadavre d’un passé que l’on cherche à oublier.
Les allusions sont comme des rayons laser qui détectent la mauvaise conscience et la font sortir de son trou plus sûrement qu’une carotte devant le terrier d’un lapin.