Citations sur Illustre inconnu (36)
- Ce qui me désole, vois tu, explique Leïla dans un trémolo de sanglots étouffés, ce qui me dévaste littéralement, c'est qu'il soit mort...
- Bien sûr, c'est normal... acquiesce aussitôt Cécile.
- ...Et que je ne puisse moi-même le tuer de mes propres mains, achève-t-elle les traits durcis par la colère.
Christine avait suivi la naissance de l'étoile et s'en était sincèrement félicitée. Sans toutefois s'empêcher de penser que réussir au cinéma n'avait pas la noblesse d'une reconnaissance de la part du milieu théâtral, fût-elle confidentielle.
- Le cinéma, c'est du théâtre en conserve ! clamait-elle haut et fort à qui voulait l'entendre.
Puis, pour faire taire toute mauvaise langue susceptible de penser qu'elle pouvait être jalouse du succès de son frère, elle ajoutait dans un gloussement :
- Ce n'est pas de moi, c'est de Jouvet !
Si c'était de Jouvet, alors...
Depuis toujours, Leïla a deux ennemis mortels : le temps, c'est une évidence, mais aussi la vérité, du moins celle qui ne lui convient pas. Littéralement shootée aux apparences et aux images, image de marque, image de soi, Leïla est dominée par l'obligation de paraître au mieux de sa forme, physique et morale, le devoir d'exposer - à tous et surtout aux médias - sa beauté, son bonheur, le destin hors du commun qui est le sien. D'ailleurs, on pourrait également lui adjoindre un troisième ennemi mortel : le quelconque, le banal, l'ordinaire. C'est une tyrannie qui ne lui laisse aucun répit, c'est une seconde nature, c'est maladif.
C'est un instinct de survie.
Violette esquisse un sourire amer.
" Quelle étrange démarche que celle de vouloir se faire reconnaître par quelqu'un atteint de la maladie d'Alzheimer... " songe-t-elle non sans ironie.
Pierre l'a souvent répété : l'imagination populaire est parfois plus menaçante qu'une arme braquée sur la tempe et il ne faut jamais sous-estimer les dégâts qu'elle peut engendrer.
Leïla est là, devant elle, fidèle à l'image qu'elle projette sur papier glacé : la cinquantaine éblouissante que nombre de jeunes filles ne parviennent pas à égaler, cheveux mi-longs alliant élégance et négligence dans un splendide enchevêtrement de mèches folles, un visage d'une parfaite symétrie que l'outrage du temps a miraculeusement épargné, une taille fine, pieds menus, mollets fuselés, cuisses galbées, fessier rebondi... Elle est là, superbe au milieu des clichés étincelants de sa vie, témoins de sa réussite, ses joies, sa fierté.
(...) Leïla fait partie de ces femmes qui semblent avoir signé un pacte avec le Diable et même, l'avoir berné en beauté. Justement.
C’est juste ça, vieillir : c’est se pousser un peu pour faire de la place… Jusqu’à disparaître complètement.
Vieillir, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour ne pas mourir jeune. Et tu veux que je te dise ? Ce qu’il y a de pire dans la vieillesse, c’est le regard des autres. C’est le monde qui continue de tourner sans se préoccuper de toi.
En s'engouffrant dans les entrailles du métro, la jeune femme se sent happée par les affres de l'enfer qu'elle s'apprête à affronter. Elle vient d'effleurer la grâce de la finesse et de l'élégance, un monde de distinction, de raffinement, mêlé de dignité, un univers où le chagrin ne se traduit pas en jurons et où la valeur du centime n'excède pas celle du sentiment. A présent, dévalant les marches du métro, elle descend vers les profondeurs d'un néant intellectuel sans subtilité ni perspicacité, bref un vide abyssal de discernement.
"Aucun bruit n'est plus entêtant que celui d'un téléphone qui ne sonne pas." (p. 234)