Je suis presque tombée amoureuse du héros, Okonkwo, fils d'un inutile paresseux, et qui se fait lui même, par sa propre ténacité ; il se forge, il veut s'en sortir et être reconnu comme le meilleur de son clan, comme un seigneur. Sa vie est « un combat acharné contre la pauvreté et l'infortune » Non, il n'a pas eu de chance, il a conquis sa chance à force, il a combattu pour devenir riche et puissant et il a réussi.
C'est un homme.
Avec plusieurs femmes.
Il est colérique aussi.
Avec ses champs d'ignames et de manioc.
Et ses nombreux enfants.
Mais voilà : son fils Nwoye n'est pas aussi combatif que lui, il ressemble à une femme, et fait penser à la faiblesse de son grand père.
Bien sûr,
Achebe a pour but de conter au plus près sa culture, avec par exemple la polygamie, la division du travail familial,(chaque épouse a son propre logis, elles envoient chacune un pot de nourriture à leurs mari commun, il visite l'une ou l'autre à son gré), la signification mystique du nom des enfants et la suprématie incontestée des hommes sur les femmes.
(Rappelons nous l'Europe à cette époque, où Jane Eyre a été écrit soi disant par un homme)
Dans ce village nigérian de la fin du XIX siècle : la vie quotidienne, les mariages, les amitiés, les enterrements, les castes, le tout est réglé par les injonctions des esprits et par la coutume qui s'en remet souvent au monde supérieur des dieux.
Achebe nous plonge dans les contes qui se racontent le soir devant le feu, les proverbes animaliers et parsème, comme des herbes rares, les mots obi( case) , et chi : le chi , c'est l'âme, le Dieu personnel que chacun possède et qui le guide. Et plein d'autres mots igbos que nous comprenons intuitivement .
Achebe, tu es vraiment malin.
Le surnaturel est toujours présent dans la culture Igbo (en particulier), il s'agit non pas d'obéir à des croyances ancestrales médiévales, mais de souder l'accord entre les individus, le clan et les dieux.
Parmi les rites, celui d'abandonner les jumeaux à leur naissance, car ils portent malheur. Certains enfants reviennent sur terre avec un esprit maléfique, il s'agit de se débarrasser d'eux.
Chinua Achebe, merveilleux conteur, fait oeuvre d'anthropologue, et une babeliote Nastasia . B, souligne ce témoignage unique en son genre, écrit en 1958, soit avant l'indépendance du Nigéria. Je la cite, elle parle mieux que moi :
« Imaginez le bonheur que serait le fait de pouvoir lire de la main d'un Aztèque l'arrivée des Espagnols ou bien l'implantation de l'Islam en Asie centrale vue par un Ouzbek d'alors. Eh bien c'est ça qu'il nous offre, rien de moins. Ça et, évidemment, comment cela s'est terminé, d'où son titre.
La quatrième de couverture cite un proverbe africain qui colle merveilleusement au propos du livre et qui m'évoque immanquablement La Guerre Des Gaules de César : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, l'histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »
En tant que chef, Okonkwo recueille le fils d'un village ennemi, qui devient son fils adoptif et meilleur ami de son fils. Par excès de virilité mal placée, il se croit obligé d'écouter l'Oracle et tue cet adolescent.
Péripéties multiples font qu'après un exil de sept ans, il revient dans son village et le voit envahi par des missionnaires.
Le sabre et le goupillon, le goupillon en premier.
Il arrive, l'homme blanc, personne ne comprend ce qu'il dit et il ne comprend pas ce qu'on lui dit, de plus, parfois pour arrondir les angles, parfois dans l'ignorance où il est du langage particulier du village d'Umuofia, sud est du Nigeria, l'interprète ne traduit pas vraiment.
Avec une subtilité remarquable, dans ce livre culte de la littérature africaine,
Achebe
fait allusion au massacre des prophètes de Baal, revendiqué par le second missionnaire, pour qui noir c'est noir et le noir doit être éliminé ou converti, aussi simple que ça. Des massacres au nom de la religion ont eu lieu partout, et pour lui, le missionnaire, ces massacres sont des modèles à suivre. (En fait, des menaces)
Après les premiers missionnaires, arrive un gouvernement au nom de la reine Victoria, des magasins et une école, un hôpital. C'est tranquille, cette invasion, pas agressive, mais inexorable.
La pacification de ces primitifs est mise en place.
Et comme nommer est à la fois une incantation et une promesse, le christianisme naissant rebaptise à tour de bras.
Nwoye , perturbé par son vécu sanglant, devenu chrétien , s'appellera désormais Isaac, celui qu'Abraham a failli tuer sur ordre divin. Les sacrifices humains ont souvent, malheureusement, existé, y compris dans la Bible. Et il accepte de s'appeler comme un enfant que l'on va sacrifier, alors qu'il a terriblement souffert du meurtre de son meilleur ami. Il va, de plus, faire doublement souffrir son père, comme si il acceptait le sort de son ami à sa place et faisait revivre le tourment de notre magnifique, merveilleux, héroïque Okonkwo.
Je vous dis, presque amoureuse je suis.
Incompréhension, accueil, escalade, invasion, manque de vigilance devant cette invasion (prônant de quitter père et mère, l'horreur pour les villageois!) puis conversions pour des raisons multiples.
Et dérapage vers le fanatisme d'un nouveau chrétien plus croyant que les croyants.
Voilà, le fanatisme inutile, voilà.
Et la réponse, déjà prête, la répression.
Magnifique livre, inoubliable Okonkwo.
Le titre originel : le monde s'effondre" a été changé pour «
Tout s'effondre » après l'épuisement du premier titre. le monde, ou le tout, ne sera jamais plus le même.