Citations sur Passer l'hiver (23)
Elle et moi, il ne fallait surtout pas qu'on se perde. On s'accrochait l'un à l'autre depuis pas mal de temps et c'est comme ça qu'on avançait.
- Bouche cousue
La beauté me donnait toujours envie de mourir, elle me plongeait dans un état de fragilité extrême difficile à expliquer.
Je finis mon verre et c'est dimanche soir et toujours le dimanche soir je pense à ce genre de trucs et ça m'étrangle. Je pense au lendemain, au boulot au supermarché, aux collègues, au patron et ça me donne envie de crever.
Quand j'étais petit, les parents regardaient le film et je n'arrivais pas à m'endormir, je pensais au lendemain, à la semaine qu'il faudrait tirer, aux leçons aux contrôles et ça me serrait la gorge. Dès le dimanche matin ça me serrait la gorge.
Je m'en suis voulue de lui avoir parlé sur ce ton mais c'était trop tard. C'était reparti elle se taisait et j'aurais voulu être capable de me lever et de la prendre dans mes bras mais c'est toujours pareil, les gestes qu'on devrait faire on n'ose jamais et on finit tous autant qu'on est seuls comme des rats dans notre trou.
- Nouvel an
Quand ils ont fermé les ateliers, ç'a été la foire pendant deux trois semaines et puis après on n'en a plus parlé. Les télés sont venues, quelques politiques aussi. ils ont partagé les merguez et la chaleur des braseros et puis ils sont partis en nous assurant que les mesures seraient prises pour qu'on soit reclassés. Tout le monde a fini à l'ANPE. Jacques continue à tenir à coups de congés maladie. Il touche encore ses droits et c'est le seul. Il n'y a que moi qui ai retrouvé du boulot, parce que je suis plus jeune. Cela fait deux ans que je bosse dans ce supermarché. Ce n'est ni mieux ni moins bien qu'avant. C'est juste insupportable, comme n'importe quel boulot de merde.
Au bout du lotissement, je prends le chemin. Il s'enfonce dans la nuit. Il y a le bruit des arbres, mes pas dans la terre, des bruissements dans les fourrés. La forêt se referme et mes doigts se collent aux troncs humides. Je ne peux pas le voir mais ça laisse des traces vertes et brunes sur la peau. C'est doux, comme du velours ou de la mousse. J'arrache un bout d'écorce, je le pose sur ma langue. C'est mou et soyeux, un peu amer. Je mâche et j'avale. Un jour, des bourgeons me pousseront au bout des doigts.
Ce que je ne supporte pas, c'est pas qu'elle ait fait ça, ni même qu'elle me le dise,non. C'est juste sa petite gueule et son ton d'instit. Je la regarde et je me dis que de tout mon coeur, j'ai aimé cette femme, mais c'était il y a si longtemps que je m'en souviens à peine.( en douce)
Je me suis allongée sur le canapé. J’ai pris une pâte d’amandes sur la petite table. Elle était rose et coincée entre deux cerneaux de noix. J’ai fermé les yeux et j’ai pensé au type du camion, à ce qu’il m’avait dit à un moment, que lui aussi passait ses vacances au camping de Lacanau, que ça faisait pas mal de temps qu’il emmenait les vélos et que c’était vraiment bien de rouler sur les aiguilles, de serpenter entre les grands pins, de déboucher sur la dune. Je me suis dit que ce serait drôle qu’on se croise là-bas l’été prochain.
J'embrasse sa bouche et je me dis que la douceur des gens, c'est dans la bouche qu'on la ressent vraiment.
Les télés sont venues, quelques politiques aussi. Ils ont partagé les merguez et la chaleur des braseros et puis ils sont partis en nous assurant que les mesures seraient prises pour qu'on soit reclassés. Tout le monde a fini à l'ANPE.