Une oeuvre ambitieuse, à la structure complexe, qui tient en grande partie ses promesses. Nous commençons par suivre Vica, une vielle femme, qui décide ce jour-là de faire des visites. le trajet est une occasion de se remémorer, son enfance difficile, son mariage, sa carrière d'épicière. Les rencontres et les lieux où elle se rend éveillent aussi des souvenirs. Elle commence par aller chez sa belle-soeur, chez qui elle ne trouve que son neveu. Puis, elle décide d'aller chez Ivona, dont elle a fréquenté la famille de bourgeoisie aisée depuis des décennies, essentiellement en tant que couturière. Elle évoque les membres de la famille, les jugeant ainsi que leurs comportements sans complaisance. Ivona de son côté évoque les mêmes souvenirs sous un autre angle et dans un autre langage. Une photo de 1916 va être l'occasion de faire plus ample connaissance avec certains des personnages, de leur point de vue cette fois, puisque nous suivons chacun d'entre eux de l'intérieur. le roman continue avec le journal du professeur Mironescu, le père d'Ivona, qui raconte en arrière fond d'événements personnels, les débuts de la première guerre mondiale en Roumanie. Nous revenons ensuite à Vica et Ivona, pour connaître une conclusion de cette journée. le roman se clôt quelques années plus tard avec Vica.
Riche et dense, le livre décrit à la fois des individus, comme de l'intérieur, leur donnant la parole, avec chacun son langage, par exemple très populaire chez Vica et exagérément châtié chez Ivona. Les ambigu1ïtés et ambivalences des personnages sont creusées, des jugements contradictoires peuvent s'exprimer dans des laps de temps très courts par exemple. Les personnages réagissent en fonction de leurs préjugés, de leurs états émotionnels, de leurs expériences, de leurs égoïsmes aussi. C'est le panorama des différents points de vue qui permet au final au lecteur de se faire sa propre opinion. Les différences de classes sont impitoyablement explorées, dressant au-delà des individus, un tableau sociale, tout en esquissant aussi l'histoire roumaine de la période, vue par le prisme du vécu des individus lambda. Dès le titre, le livre joue sur deux registres : celui des destinées individuelles (la matinée perdue par Vica qui ne trouve dans un premier temps personnes à domicile, ou celle d'Ivona envahie par Vica) et celle de la Roumanie, dont l'indépendance n'a débouché que sur le clientélisme, la corruption, l'impuissance, entraînant des catastrophes successives.
Le parti pris de partir des discours des personnages entraîne forcément une lenteur dans le schéma narratif, les mêmes événements reviennent sous des angles différents, il y a les inévitables ressassements des faits, surtout des plus douloureux, les réactions affectives. Jusqu'au deux tiers du roman, je trouvais que cela fonctionnait merveilleusement bien et donnait une grande profondeur et richesse au livre. Une petite perte de rythme survient à mon sens ensuite pendant une centaine de pages, ces deux parties (le journal du professeur et le retour chez Ivona de plus en plus hystérique en attendant la révélation finale) auraient méritées d'être un peu resserrées à mon avis. L'épilogue en revanche clôt le livre d'une manière convaincante.
Globalement, c'est une très belle lecture, pas très loin d'être un immense coup de coeur.
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Vica rend visite à sa belle-soeur Ivona. Comme chaque mois, celle-ci va lui remettre un peu d'argent, bienvenu pour mettre du beurre dans les épinards lorsqu'on dispose d'une toute petite retraite. Malheureusement, ce jour-là, la porte ne s'ouvre pas et Vica reste dehors à attendre, à attendre des heures et des heures le retour de son amie. Avant la rencontre des deux commères (car la porte va finir par s'ouvrir) c'est près d'un siècle d'histoire de la Roumanie qui va défiler, à travers les souvenirs de celle qui a connu les jours fastes et les jours sombres d'une famille, jadis très riche et puissante mais dépouillée de ses biens par le régime communiste. Ivona, qui raconte à son tour (derrière sa porte), a une tout autre vision des mêmes personnages et des mêmes événements. C'est là toute l'originalité de ce roman, assez long à lire mais très attachant par la forte personnalité des personnages et leur destin hors du commun. Chacune parle avec son langage, populaire pour Vica, châtié et mâtiné de français pour Ivona (on est aristocrate ou on ne l'est pas !) et l'on sent leur profond attachement l'une pour l'autre malgré le fossé qui les sépare et qui continuera à les séparer jusqu'à leur mort. La force de ce texte tient à son ancrage dans une réalité mouvementée, celle des peuples de l'Europe centrale, au destin si tourmenté, et à un réel bonheur d'écriture.
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Un livre attachant, les personnages nous font revivre les différentes époques de la Roumanie prise entre l'Allemagne et les Russes, les incidences pour les roumains : petite ou grande bourgeoisie, ainsi que pour ceux qui ont travaillé toutes leurs vies. Les descriptions nous montrent une vie rude où tout se mérite mais aussi les stratégies de certains et les soumissions d'autres.
Un petit bémol, il faut persévérer au début pour s'y retrouver parmi tous les personnages et aussi les époques.
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