Après quelques heures passées à demi assoupie à écouter les voix, le poster représentant des enfants en train de jouer qu’elle avait punaisé à sa porte devenait flou, et elle s’engageait dans la dédale des images atroces qui peuplaient ses cauchemars. Ces fichues images semblaient faire la queue à l’entrée de sa tête, attendant le moment où elle s’endormirait. La douce chevelure de sa mère et son visage de pierre. La petite fille qui tâchait de se rendre invisible dans les coins sombres de la somptueuse villa familiale. Le chagrin. L’image floue de sa maman qui l’abandonnait. Les étreintes dures, si dures, des femmes qui prenaient sa place.
Mais j’ai pensé à un vieux dicton que mon grand-père avait inventé. Il disait : Si tu veux savoir ce que ton chameau a volé dans ta cuisine hier, ne lui ouvre pas l’estomac, examine son trou du cul. » Il fit un large sourire.
Une attitude qui disait clairement : vas-y, pose-moi tes questions à la con, je n’en ai rien à foutre et tu ne tireras plus rien de moi, sale flic.
Il détestait les week-ends. Comment pouvait-on attendre d'un policier qu'il fasse correctement son travail alors que tous ses concitoyens étaient en train de buller sur leur canapé ?
Planté au milieu de la salle des pas perdus, devant le kiosque à journaux de la gare, un grand panneau affichant la une des quotidiens s’évertuait à pourrir la vie aux gens pressés et aux aveugles. Elle avait déjà vu les gros titres de la presse à divers endroits en traversant la ville, et ils lui donnaient la nausée.
« Sales porcs », grommela-t-elle en passant, le regard braqué droit devant. Mais cette fois elle ne put s’empêcher de tourner les yeux et d’apercevoir son visage sur la manchette du Berlingske Tidende.
Elle leva sa manche à la hauteur de ses narines et respira un grand coup. La femme qui s’était à présent éloignée d’elle n’avait pas tort. Ses vêtements puaient abominablement.
Quand le feu passa au vert, elle traversa la rue, tirant derrière elle sa valise qui sautillait à droite, à gauche, sur ses roulettes tordues. Ce serait son dernier voyage, il était temps de se débarrasser de toutes ces vieilles frusques, et de la valise en même temps.
Les puissants vivent de l'impuissance des faibles, dit-on. Mais leur propre impuissance les gouverne parfois. L'histoire du monde est truffée d'exemples qui le prouvent.
"Tu veux bien me rendre un service ? [...]
Carl se recula sur sa chaise. C'était l'instant qu'il redoutait le plus quand il venait rendre visite à son camarade. Chaque fois, il lui demandait de l'aider à mettre fin à ses jours. L'euthanasie, un joli mot savant, le meurtre par compassion, un concept plein d'humanité. Mais dans tous les cas une idée qui faisait froid dans le dos.
Assad eut l’air surpris. « assistant de police ? » S’exclama-t-il, le souffle coupé par l’indignation. Il mit les deux mains sur sa poitrine, comme s’il devait contenir le sentiment d’émotion que cette injustice provoquait en lui. Carl n’avait jamais vu personne incarner à ce point l’innocence outragée depuis la réaction du premier ministre quand la presse avait accusé le gouvernement d’être indirectement impliqué dans les tortures en Afghanistan.
Le mauvais côté des vacances, c'est qu'un jour elles se terminent.