« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres, et qui préfère que cela continue ainsi, n'est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit, le ver solitaire, le cancer et les charognards des mers. »
Au cours de l'été 1936, en pleine Grande Dépression, le magazine Fortune envoi le journaliste
James Agee dans le Sud pour écrire un article sur les métayers de coton frappés par la pauvreté. À la demande d'Agee, le magazine embauche également le photographe Walker Evans pour l'aider à documenter le sort des travailleurs agricoles. Agee et Evans, âgés respectivement de vingt-six et trente-deux ans, voyagent à travers le Sud et choisissent trois familles du comté de Hale, en Alabama, comme sujets. Ils passent deux mois avec eux à prendre des photos et à recueillir des impressions et des informations.
À leur retour leur reportage n'est pas publié, sans doute jugé trop anti-capitaliste, et disparaît de la circulation. Ce n'est que cinquante ans après la mort d'Agee qu'il est retrouvé parmi ses papiers.
Document pionnier du reportage au long cours, « Une saison de coton » est l'oeuvre de deux hommes talentueux. Evans n'est pas un simple journaliste, comme le prouvera la suite de sa carrière. Dans ce réquisitoire contre la volonté d'exploiter les faibles, les impuissants, les pauvres, son écriture littéraire éclate au grand jour.
« De ses yeux jaune clair, ignorants et quelque peu inquiétants, il vous observe en silence. Il se déplace lentement, puissamment, d'une démarche adaptée aux terrains accidentés et, comme beaucoup de gens qui ne savent ni lire ni écrire, il manie les mots avec une économie et une beauté maladroites, comme s'il s'agissait d'animaux de trait labourant une vaste terre difficile. »