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EAN : 9782267026917
187 pages
Christian Bourgois Editeur (30/11/-1)
4.39/5   27 notes
Résumé :


En 1936, missionné par le magazine Fortune, James Agee se rend en Alabama pour effectuer un reportage sur le métayage du coton. À sa demande, le photographe Walker Evans l'accompagne.

Les deux hommes vivent plusieurs semaines aux côtés des familles Burroughs, Tingle et Fields. Evans réalise certains de ses clichés les plus célèbres tandis qu'Agee décrit minutieusement le quotidien de ces hommes, femmes et enfants dont les conditions d... >Voir plus
Que lire après Une saison de coton : Trois familles de métayersVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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1936. James Agee part faire un reportage sur les conditions de travail des fermiers blancs et pauvres du sud profond. Un reportage que le magazine Fortune refusera au final de publier. Trop virulent, trop bouleversant. Et, sur, le fond une charge anticapitaliste toujours d'actualité.

Agee s'intéresse à trois familles : les Tingle, les Fields et les Burroughs. Les premiers sont les plus en difficulté. « Les Tingle ne sont plus capables d'envisager l'existence une saison à la fois, ni même un jour à la fois : désorganisés, engourdis, animés en de brefs sursauts, ils flottent dans leur vie comme on dérive sur l'eau, une heure après l'autre. La pauvreté est la cause de leur indifférence ; leur indifférence les enfonce plus profond encore dans la pauvreté ». Les Fields et les Burroughs, tout aussi pauvres, conservent néanmoins « une emprise sur la vie » qu'ils s'échinent tant bien que mal à entretenir.

Après avoir montré comment les propriétaires terriens maintiennent les métayers sous leur coupe et les exploitent sans vergogne, Agee décrit chaque aspect du quotidien de ces familles : l'habitat fait de maisons de bois aux toits perméables et aux murs n'offrant aucune protection contre les frimas hivernaux et les canicules estivales (« pour pousser à terre ces baraquements, il suffirait d'un seul homme décidé ») ; la nourriture, constituée essentiellement de fruits et légumes secs accompagnés de pain de maïs (la viande étant très rarement au menu) ; les vêtements (salopettes, chemises et robes en coton, chapeaux de paille, habits du dimanche, chaussures aussi rares que déglinguées, le tout tâché par la sueur, la graisse, la boue et lavé très occasionnellement) ; la culture du coton, harassante, dépendante des aléas du climat et des attaques de chenilles où la cueillette est un acte simple et terrible qui brise les corps et met à mal l'endurance (un homme cueille en moyenne 115 kilos par jour) ; l'éducation (sur 150 jours d'école, les enfants en manquent généralement la moitié pour aider leurs parents dans les champs ou pour cause de maladie et n'iront de toute façon pas au-delà du CM2) ; les loisirs et les relations sociales, quasi inexistants ; la santé, forcément précaire (les Tingle, par exemple, ont perdu sept enfants)…

Agee pose un regard plein de compassion sur ces pauvres hères broyés par la vie. Sans empathie particulière, il rend dignité et humanité à ces familles ravagées par la misère. Il en profite également pour dénoncer radicalement l'économie ultralibérale d'une Amérique qui, loin du clinquant d'Hollywood et de la modernité des grandes métropoles, laisse une partie de sa population ravalée au rang de bêtes de somme. Édifiant.
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Ce texte est la première version d'un texte devenu mythique : "Louons maintenant les grands hommes."

Ce reportage avait été commandé par le magazine Fortune. Il était demandé à James Agee de rapporter les conditions de travail des métayers du coton dans le sud des États-Unis en pleine dépression économique en 1936. Les métayers représentent près de huit millions de personnes. Agee se fit accompagner par son ami photographe Walker Evans dont on retrouve les photos tout au long du livre. le résultat est une violente charge contre la pauvreté et le système économique. le reportage fut refusé par le magazine et l'auteur le rangea dans ses cartons. Plusieurs années après, il retravailla le texte pour aboutir au livre "Louons maintenant les grands hommes", qui sera publié en France dans la remarquable collection "Terre Humaine" chez Plon.

Cette version originale n'a été découverte que récemment après la mort de l'auteur. Elle se distingue par son style sobre et des descriptions parfois cliniques de ce que l'auteur a vu. le récit est d'une grande force et l'on ne peut qu'être triste face à cette misère humaine. On constate aussi que si beaucoup de choses se sont améliorées pour un grand nombre de gens, le système actuel n'a pas vraiment évolué. Ce livre raisonne d'autant plus aujourd'hui que la "crise" que nous traversons a beaucoup de points communs avec celle des années 30.
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Il faut que je vous parle d'Une saison de coton. Il faut que vous sachiez que ce livre existe, et il faut que vous le lisiez. Je l'ai découvert il y a deux semaines grâce à un article de Dominique Conil dans Mediapart, et je me le suis procuré dès que j'en ai eu l'occasion à la Librairie Greenwich de Rennes que j'affectionne pour la qualité de son fonds et de ses conseils. Cette lecture a été une vraie claque, il n'y a pas d'autres mots.

Il s'agit de la première édition d'Une saison de coton : trois familles de métayers de James Agee, illustré par les photographies de Walker Evans, depuis sa rédaction en 1936. Reportage de commande pour le magazine Fortune, ce court texte est à l'origine du fameux Louons maintenant les grands hommes des mêmes auteur et photographe, livre culte sur les 8 millions de métayers de la Cotton Belt américaine, paru en France chez Terre Humaine et dont j'avoue avoir ignoré jusqu'ici l'existence. Refusé par Fortune, le manuscrit de l'article d'origine n'est réapparu qu'en 2013, sous cette forme brute, dense, et terriblement belle traduite l'automne dernier par les éditions Christian Bourgois.

Une vision du journalisme et de la société

« (…) si la vie d'un métayer est aussi terrible que la description qui a pu en être faite – et elle est pire –, la violence révélera son visage maléfique de manière moins frappante, essentielle et complète dans les épreuves de ceux qui sont les plus maltraités que dans ce goutte-à-goutte régulier de détails quotidiens qui oblitère les vies mêmes de ceux qui sont relativement “bien” traités ».

De son séjour de quelques semaines en Alabama chez trois familles de métayers du coton, James Agee nous livre autant un récit saisissant du quotidien de ces familles dont la pauvreté est extrême qu'une vision du journalisme, presque une profession de foi, en affirmant son refus de donner dans le scandale ou le voyeurisme, en ne relatant pas son expérience intime parmi ces hommes et ces femmes pour au contraire laisser une place grandiose aux faits. Sa description simple, quasi photographique de l'univers des familles Field, Burrough et Tingle parle d'elle-même, s'épargne de longs discours engagés ou dénonciateurs, laissant l'accumulation impitoyables des détails s'exprimer sans faire de concession au pathos.
Cette peinture méthodique, minutieuse des conditions de vie des métayers blancs, par son objectivité et son réalisme cru, suscite chez le lecteur l'indignation qui sous-tend de façon si consciente l'écriture, et qui est sous-jacente dans le regard porté par le journaliste. Loin d'être un observateur neutre, Agee laisse transparaître sa révolte et sa colère par l'orchestration éminemment rationnelle de sa description, traitant de façon systématique tous les besoins vitaux de ceux dont il parle (l'abri, la nourriture, les vêtements, l'éducation, les loisirs, etc.), et par la puissance de son écriture poétique.

« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres, et qui préfère que cela continue ainsi, n'est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit, le ver solitaire, le cancer et les charognards des mers. »

L'on pense évidemment à Jack London et au Peuple d'en bas, sa plongée une trentaine d'années plus tôt au coeur de l'East End londonien qu'il surnommera l'Abîme. Il y a bien sûr loin entre London et Agee, ce premier étant plus proche du journalisme gonzo que de la distance sensible prise dans Une saison de coton. Pourtant, face à ce que Agee dénonce comme un « terrorisme » indirect des propriétaires et une société qui est un « mélange vertigineux de féodalisme et de capitalisme tardif », on retrouve chez l'un comme chez l'autre la même amertume, la même rancoeur envers la civilisation. « La civilisation a centuplé le pouvoir de production de l'humanité et, par suite d'une mauvaise gestion, les civilisés vivent plus mal que des bêtes, ont moins à manger et sont moins bien protégés de la rigueur des éléments que le sauvage inuit, dans un climat bien plus rigoureux », conclut Jack London en 1902, déjà.

(...)
(suite de la chronique sur http://louetlesfeuillesvolantes.blogspot.fr/2015/03/une-saison-de-coton-james-agee.html )
Lien : https://lesfeuillesvolantes...
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Adam Haslett présente l'ouvrage « la charge d'un poète contre l'injustice économique et sociale » et l'auteur. Un reportage non publié, « Qui peut dire combien de reportages subversifs sur la Grande dépression furent enterrés, ou même jamais envisagées, sous le règne des prérogatives financières dans la presse respectable », la situation de métayers blancs (« mais il existe toujours des fermiers noirs bien plus pauvres et dont le traitement est plus abject encore… » ; James Agee expliquera ce choix), les détails de « la vie quotidienne de ceux qui se trouvent en bas de l'échelle sociale ». Trois familles…

Adam Haslett souligne que l'auteur associe les vies décrites au système responsable de leurs conditions et propose d'« analyser la politique en regardant ce qu'elle produit concrètement »

Le métayage de coton. « le monde est notre maison ». James Agee parle de « ce goutte-à-goutte régulier de détails quotidiens qui oblitère les vies mêmes de ceux qui sont relativement « bien »traités ». le métayage et son contrat, la formation et les conséquences de la dette, l'inscription citoyenne (le cens et cette terrible phrase « Aucune femme n'a jamais ne serait-ce que songé à voter ») et les institutions gouvernementales étrangères ou hostiles, les trois familles, la pauvreté et l'indifférence, « La pauvreté est la cause de leur indifférence ; leur indifférence les enfonces plus profond encore dans la pauvreté »…

L'analphabétisme, les mots, les enfants, les terres, les odeurs, le dépouillement de la maison, l'eau, le corps, la propreté, les animaux…

La nourriture, celle des femmes « qui doit faire autant mais aussi porter des enfants pendant un quart ou la moitié de sa vie adulte », le travail au champ et le travail domestique, les aliments, « les constantes à la mi-journée sont le pain de maïs, les pois et la mélasse », le saindoux, les vêtements…

Le travail. « Peu de métayers s'intéressent vraiment ou on envie de s'intéresser au coton qu'ils cultivent : ils ne le cultivent que pouvoir louer des terres et une maison », le temps et les travaux, les saisons, la cueillette, « la cueillette a lieu chaque jour de pas d'heure à pas d'heure », le travail et la chaleur, le poids des charges, les douleurs, les enfants… « le ciel descend ; l'air devient comme du verre sombre ; le sol durcit ; l'argile se gèle en alvéoles ; les odeurs de porc et de fumée de bois dans tout le pays se font plus franches ; et l'hiver est là »…

L'éducation, lire, écrire, compter, « peu d'enfants de métayers vont au delà du primaire », les « loisirs », les offices religieux…

La suprématie blanche, les samedis, « du vrai petit bois pour tous les crimes allant de la séduction des Négresses au lynchage »…

En annexe, James Agee rappelle qu'un métayer sur trois est un Noir, un homme « que le travailleur blanc naît en détestant et meurt en détestant ». L'auteur parle aussi des propriétaires terriens, de la structure du Sud, « Et si la vérité est plus intéressante et plus complexe, mais aussi plus précieuse que le mensonge, alors il y a tout intérêt à ce que cette vérité soit reconnue »

« Une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer »

Un livre magnifique, poignant, sans misérabilisme et des photos en noir et blancs de Walker Evans fixant des regards et des lieux. C'était il y a moins d'un siècle aux USA…

Comme le dit si bien Adam Haslett : « Appliquée à notre époque, la description minutieuse de l'existence réelle des gens, telle qu'elle fut menée par Agee dans son long reportage dans l'Alabama, permettrait certainement de dissiper un peu de ce brouillard, et nous sortirait de ce fantasme selon lequel nous pouvons tous gagner ou remporter le jackpot ».
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Alabama, Cotton Belt, 1936. Dans cette région des Etats-Unis où 60 % des gens vivent de la culture du coton, soit environ huit millions et demi d'hommes et de femmes, perdure un système semi féodal. La plupart des terres sont cultivées par des métayers. Ceux-ci sont liés par contrat aux propriétaires qui leur fournissent les terres, l'habitation, le matériel et l'argent. En échange, selon les termes du contrat, le métayer remettra la moitié de la récolte de coton, la moitié des graines et parfois la moitié d'autres récoltes. James Agee, alors journaliste au magazine Fortune, est envoyé en Alabama pour un reportage sur les conditions de travail des fermiers blancs et pauvres. L'article, illustré par les photographies de Walker Evans ne fut jamais publié. Est-ce en raison des critiques sous-jacentes contre un système qui maintient dans une pauvreté de corps et d'esprit des millions de personnes ? Aucune raison ne fut donnée par le magazine. 75 ans plus tard, ce réquisitoire contre un système aujourd'hui disparu dans le sud des Etats-Unis garde toute son actualité car pour James Agee « une civilisation qui pour quelque raison que ce soit porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu'en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom, ni de perdurer. »
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critiques presse (3)
Bibliobs
06 février 2015
Précurseur du néoréalisme, Agee raconte la vie sans joie d'une poignée de paysans américains: on sait ce qu'ils mangent, comment ils s'habillent, de quoi sont faites leurs pauvres maisons. On a l'impression de toucher la terre qu'ils s'échinent à cultiver, le coton qu'ils récoltent dans des sacs pouvant contenir 45 kilos, et qu'ils traînent sous une chaleur implacable.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Liberation
13 janvier 2015
Le livre est la prière qui s’élève d’une enquête. Il a été vénéré par quelques générations de lecteurs, texte et photos. Le travail «assez curieux» dont il est issu a été effectué par l’écrivain James Agee, poète, chrétien, alors âgé de 27 ans, et le photographe Walker Evans, 33 ans. Il paraîtra aujourd’hui encore plus curieux, puisqu’il s’agit pour les deux hommes de prendre leur temps et de faire avec une intensité scrupuleuse ce métier que James Agee trouve par ailleurs plus que douteux : journaliste.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeFigaro
24 octobre 2014
On peut sans hésiter le ranger parmi les trois ou quatre plus grands livres américains du XXe siècle, texte inclassable qui invente sa propre forme, lyrique, mystique, cosmique, pour dire ce qu'est l'Amérique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Mais pour revenir à la super-normalité des Burroughs, faisons un dernier point sur l'alimentation.
En dehors de l'occasionnel poulet, dont le régime est surtout constitué d'excréments humains, ils ne mangent jamais d'autre viande que du porc, et jamais de porc si ce n'est salé, et jamais plus d'un petit morceau à la fois, et assez souvent même pas un petit morceau.
Il n'y a jamais de lait frais même pour les enfants, car ce serait gaspiller de quoi faire du bon beurre.
Il n'y a que très rarement du poisson. Toujours en boîte.
Des légumes qui ont commencé leur vie en étant verts, il y en a peu. Ils sont cuisinés avec du porc quand il en reste suffisamment pour ça ; sinon, ils sont cuits avec du saindoux ; ils sont systématiquement cuits au-delà de toute couleur verte et prennent celle de la mort, olive foncé.
En fait, tous les aliments, qu'ils aient été frits, bouilli ou rôtis, sont puissamment assaisonnés de saindoux, et suintent le saindoux par chacun de leurs pores. Comme vous, après un repas ou deux.
Trente à quarante pour cent de toute la nourriture qui entre dans la bouche est du maïs. Si l'on aborde ce sujet ne serait-ce que sous l'angle, évidemment trivial, de l'esthétique, deux semaine de ce régime noircissent des dents jamais brossées et recouvrent chacune d'elles d'une chaussette épaisse et malodorante de tartre.
Vingt pour cent du reste de la nourriture est très vraisemblablement composé de pois des champs.
Les aliments sont également toujours assaisonnés de sorgho, qui masque leur monotonie derrière une monotonie plus grande encore, et excite les boyaux.
Pendant les cinq mois qui vont de l'automne au printemps, cette pitance se limite à des aliments en conserve ou séchés que viennent égayer quelques pauvres légumes d'hiver, cuits comme toujours jusqu'à prendre une texture de languette de chaussure.
Il n'est que justice de remarquer qu'ils "aiment" cette nourriture, tout autant que leur manière de vivre, voire qu'ils les préfèrent en effet par un étrange bonheur à des choses dont ils n'ont jamais fait l'expérience : et cela s'explique moins par leur présente situation de métayers du coton que par l'ignorance, la négligence et une tradition paysanne locale. Et il n'est que justice, certainement, de remarquer que l'ignorance et la négligence et jusqu'à cette tradition sont les résultantes inévitables d'une seule et unique chose : la pauvreté. La musique peut résonner en tous lieux, mais c'est de là qu'elle vient.
Et maintenant comprenez enfin, avec la limite d'une expérience vécue par procuration, que cette féroce et régulière bastonnade des tripes et de la tête se produit à intervalles de quelques heures trois fois par jour (quand il y a de quoi manger, à l'évidence) et dure exactement toute une vie. Réfléchissez sérieusement aux bienfaits de cette alimentation pour un enfant à naître ou pour un nourrisson ; pour un enfant ; pour un adolescent ; pour un adulte ; et demandez-vous sérieusement s'il n'est pas remarquable, au risque d'en avoir la nausée, qu'une plante nourrie dans un tel terreau puisse y vivre non pas en bonne santé ni dans un quelconque épanouissement de sa forme, mais puisse y vivre tout simplement.
Cependant l'organisme humain a la vie tenace et il s'adapte de façon miraculeuse. Au cours de ce processus d'adaptation, il est parfois contraint de sacrifier plusieurs fonctions secondaires, comme la capacité de réfléchir, de ressentir des émotions, ou de percevoir quelque joie ou vertu dans le fait de vivre ; cependant, il vit.
A une altitude de huit mille mètre dans les hauts cols de l'Everest, bien au-delà de l'altitude que peuvent supporter les plantes, de pâles araignées ont été identifiées, qui se nourrissent de rien de plus décelable que l'air. Apparemment elles se reproduisent aussi. Ce qu'elles font de leur temps, et, par là même, à quelle fin, personne ne le sait.

(P91)
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Sur les Noirs dans le Sud des USA en 1936 :

Dire qu'ils sont nonchalants est une ineptie. Dire qu'ils se distinguent par leur joie de vivre tout autant que les blancs de la même classe se distinguent par leur apathie et leur tristesse de vivre est une vérité. Leur sensibilité, leur grâce et leur puissance quasi surnaturelle en tant qu'êtres humains sont une évidence. Ils s'habillent avec un sens esthétique dont aucune autre population américaine ne fait preuve, même de loin ; ils sont en train de créer sans doute le plus distingué des arts lyriques américains de leur époque ; ceux qui sont "non créatifs" sont sensibles à l'art et à une subtilité de sentiments et de comportements comme aucun blanc ne l'a été depuis trois siècles ; ils aiment avec une grâce lubrique et tombent en désamour avec une franchise que peu de blancs occidentaux ont su atteindre depuis l'époque de saint Paul : et, pour faire court, il semble plutôt évident, après avoir observé plusieurs milliers d'entre eux vivre leur vie d'exclus, qu'ils constituent à maints égards majeurs une race non pas égale mais supérieure : et que ce qu'ils ont enduré ces quelques dernières générations a, tout autant que la nature éternelle et le pouvoir de l'intelligence, contribué à cette supériorité.

(P177)
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De ses yeux jaune clair, ignorants et quelque peu inquiétants, il vous observe en silence. Il se déplace lentement, puissamment, d'une démarche adaptée aux terrains accidentés et, comme beaucoup de gens qui ne savent ni lire ni écrire, il manie les mots avec une économie et une beauté maladroites, comme s'il s'agissait d'animaux de trait labourant une vaste terre difficile. Il est généralement grave moins lesté par un état d'esprit que par une profonde fatigue que rien ne vient alléger ; et doux, non pas de la douceur prémédité du chrétien mais celle non conventionnelle de l'animal de grande taille. Il est capable de colères meurtrières, et aussi de s'amuser, riant du maladroit qui s'est blessé et de toute chose touchant au registre plus large du comique sexuel. Il aime se soûler mais peut rarement se permettre la dépense.

(P55)
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Il n'est que justice de remarquer qu'ils "aiment" cette nourriture, tout autant que leur manière de vivre, voire qu'ils les préfèrent en effet par un étrange bonheur à des choses dont ils n'ont jamais fait l'expérience : et cela s'explique moins par leur présente situation de métayers du coton que par l'ignorance, la négligence et une tradition paysanne locale. Et il n'est que justice, certainement, de remarquer que l'ignorance et la négligence et jusqu'à cette tradition sont les résultantes inévitables d'une seule et unique chose : la pauvreté. La musique peut résonner en tous lieux, mais c'est de là qu'elle vient.
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Le Noir fait partie du système du métayage de coton au même titre qu'il fait partie du système du labeur dans le Sud, c'est-à-dire qu'il est cet homme que le travailleur blanc naît en détestant et meurt en détestant. Et il est détesté parce que c'est un nègre ; détesté parce qu'on estime qu'aucune femme blanche laissée sans surveillance ne se trouve en sécurité à moins d'un kilomètre de lui ; détesté parce qu'il accepte de travailler pour une paie sur laquelle l'homme blanc cracherait et d'être traité d'une manière qui pousserait l'homme blanc au meurtre ; il est surtout détesté, bien sûr, par les blancs que les circonstances ont placés presque aussi bas sur l'échelle sociale que lui.

(P173)
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