Citations sur Les poésies d'amour (20)
Mes yeux désarmés demandent Grâce…
Mes yeux désarmés demandent
Grâce. Mais que faire alors
Que devant moi on prononce
Le nom bref et si sonore ?
Je marche dans la campagne,
Le long des tas de rondins ;
Le vent printanier est libre
De souffler où il veut bien,
Et mon cœur languide entend
Que là-bas – secret supplice ! –
Mon ami vit et respire
Et ose n’être pas triste.
//Traduction: Henri Abril
Le roi aux yeux gris
Douleur inconsolable, louée sois-tu !
Depuis hier le roi aux yeux gris n’est plus.
Dans le soir d’automne étouffant, cramoisi,
Mon époux de retour calmement m’a dit :
« Vois-tu, c’est de la chasse qu’on le ramène,
On a trouvé son corps au pied d’un vieux chêne.
Si jeune ! La reine fait pitié vraiment,
Ses cheveux d’un seul coup sont devenus blancs. »
Il a pris sa pipe sur la cheminée, puis
S’en est retourné à son travail de nuit.
Moi, je vais maintenant réveiller ma fille
Et contempler ses petits yeux gris qui brillent.
Les peupliers dehors murmurent sans joie :
« Il n’est plus de ce monde, ton roi… »
1910
Douce l’odeur des raisins bleutés…
Douce l’odeur des raisins bleutés,
Et leur ivresse encore lointaine,
Sourds et sombres les sons de ta voix…
Je ne ressens ni pitié ni peine.
Toiles d’araignée entre les grappes,
Entre les pieds de vigne trop frêles.
Comme des glaçons portés par les eaux,
Flottent les nuages dans le ciel.
Mais le soleil paraît, haut et net.
Si tu souffres, aux vagues va le susurrer,
Peut-être vont-elles te répondre
Ou peut-être même t’embrasser.
/Traduction Henri Abril
6. La visite nocturne
Tous sont partis, et nul n’est de retour.
Ce n’est pas sur l’asphalte jonché de feuilles
Que tu m’attendras, non ;
Dans l’Adagio de Vivaldi, seul à seule,
Nous nous retrouverons.
De nouveau, le jaune terne des bougies
Par le songe envoûtées…
Comment tu viendras sous mon toit de minuit,
Peu importe à l’archet.
Et dans une plainte mortelle et muette
Couleront ces instants,
Dans ma paume tu liras que se répètent
Les miracles d’antan.
Alors, t’arrachant à mon seuil, cette angoisse
Devenue ton destin
Vers les houles aussi froides que des glaces
T’emportera au loin.
Sous le châle, mes deux mains crispées…
« Tu es bien pâle aujourd’hui, pourquoi ? »
― C’est que tantôt je l’ai abreuvé
De douleur amère malgré moi.
Quand je le vis regagner la cour,
Titubant et la bouche tordue,
J’ai dévalé les marches à mon tour
Et jusqu’à la grille j’ai couru.
Et crié : « Tout ça c’était pour rire !
Si tu pars, je mourrai sur-le-champ ».
Il a souri, calme à en frémir :
« Ne reste donc pas là en plein vent ».
Janvier 1911
Le souvenir du soleil en moi s'estompe
Le souvenir du soleil en moi s'estompe,
L'herbe a jauni,
Le vent où tournent les premiers flocons
Souffle sans vie.
Entre les berges des canaux étroits
L'eau s'est figée.
Ici, plus rien jamais n'arrivera,
Non, plus jamais !
Dans le ciel désert un saule déploie
Son éventail.
Peut-être vaut-il mieux que je ne sois
Pas votre femme.
Le souvenir du soleil en moi s'estompe.
Déjà la nuit ?
Peut-être !.. Et avec elle c'est l'hiver
Qui m'est promis.
30 janvier 1911
Par une nuit blanche
Je n’avais pas fermé ma porte,
Allumé les bougies,
Je n’avais même plus la force
D’aller me mettre au lit.
Regarder les lueurs du soir
Que les sapins éteignent,
M’enivrer aux sons d’une voix
Si semblable à la tienne…
Et savoir que tout est perdu,
Que l’enfer de vivre est le pire.
Ô, cependant j’étais si sûre
De te voir revenir !
/Traduction Henri Abril
Terrain poussiéreux à droite des morts…
1
Terrain poussiéreux à droite des morts,
Et au loin bleuissaient les eaux.
« Va-t’en au couvent, me dis-tu alors,
Ou bien va épouser un sot… »
C’est là d’un prince le banal refrain
Mais je n’oublie pas ces paroles –
Qu’elles ruissellent cent siècles au moins,
Cape d’hermine à mes épaules.
2
Et comme sans vouloir le dire,
Je lui dis : « Tu… »
Sur ses traits l’ombre d’un sourire
Est apparue.
À ces lapsus, l’œil le moins tendre
S’enflamme presque.
Oui, je t’aime comme quarante
Sœurs de tendresse !
/Traduction Henri Abril
"O, qu'elle m'était douce avec toi cette terre !"
p84 ( Edition Circé)
Confusion
3
Comme le veut la politesse
Il s'approcha. Sourit un brin.
Avec une douce paresse
Son baiser effleura ma main.
Antique et mystérieux prodigue,
Ses yeux plongèrent dans les miens...
Dix ans de cris et de vertiges,
Toutes mes insomnies, soudain
Je les ai mis dans un seul mot calme.
Mais j'aurais mieux fait de me taire.
Tu t'éloignas. Alors mon âme
Fut de nouveau un clair désert.
Février 1913
P43 (Edition Circé)