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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Incandescence de l'amour et de la peur.

Épopée amoureuse, récit politique et d'anticipation, Jakuta Alikavazovic réussit dans son quatrième roman, paru en 2017 aux éditions de l'Olivier à édifier une machine romanesque vertigineuse, autour de trois personnages, Paul, Amélia Dehr et leur professeur Anton Albers, tous marqués par des disparitions et dont les destins individuels sont étroitement liés à l'Histoire collective.

La suite sur le blog Charybde 27 :
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« Elle était de ces gens qui détruisent tout et appellent ça de l'art. »
Paul est alors étudiant. Enfant de l'immigration, n'ayant que peu de moyens, il travaille à l'hôtel Elisse pour financer ses études d'architecture. Dans cet hôtel réside l'héritière, Amélia Dehr, jeune femme à la chevelure rousse incandescente, chambre 313. Son père fortuné ne s'occupe plus d'elle depuis longtemps, depuis que Nadia sa mère les a abandonnés, lorsqu'Amélia avait dix ans. Nadia avait une mission sur terre, celle de faire de la poésie documentaire, elle est repartie à Sarajevo, se frotter à la guerre, et sans doute y mourir.

Paul et Amélia s'aiment alors passionnément. Ils partagent le même déracinement, le même cours d'architecture aussi, celui d'Albers, femme androgyne qui a connu la mère d'Amélia. Albers est une femme intelligente et visionnaire, qui suivra les protagonistes pendant presque tout le récit. Avant leur liaison, Paul est en compétition avec Amélia, jaloux de la connivence qu'elle entretient avec cette professeure qu'il admire.
Paul est fasciné par Amélia, parce qu'ils ne sont pas du même milieu, mais aussi par tout ce qu'elle lui apprend, par sa vision du monde. Il n'y a désormais plus qu'elle qui compte: « Paul vécut son premier amour comme une détresse, un deuil aigu de tout ce dont il avait ignoré l'existence ».

Et puis un jour Amélia s'en va. Elle l'abandonne, ne sait pas aimer. Partir parfois, semble être bien pire que mourir. L'être quitté ne peut s'empêcher d'espérer chaque jour de revoir l'être aimé; l'enfant abandonné cherche désespérément un fantôme qui n'existe pas.
Pourquoi Amélia est-elle partie ?
« J'avais autre chose à faire que d'être amoureuse. Etre amoureuse, c'est une façon de ne pas vivre. »
Amélia ne peut se remettre de l'abandon maternel. Comment s'en remettre d'ailleurs, comment peut-on transmettre l'amour que l'on n'a pas reçu? Comment avancer ? Mais Amélia ne retrouvera pas sa mère. C'est sur cet échec qu'elle va revenir dans la vie de Paul.
« Avant de retrouver ma mère et d'échouer, dit Amélia, je n'avais pas compris à quel point tout est relatif. A quel point on peut être à la fois vivante et morte. »
La guerre, Amélia ne l'a pas connue et pourtant tout la pousse à retourner sur ses traces, à enquêter le passé, à sonder ce qu'on ne lui a pas dit et qu'elle sait au fond d'elle. Retrouver des témoins, là bas, à Sarajevo. « La ville était leur mère. La guerre était leur mère. »
Paul voudrait cadrer Amélia, la rendre heureuse, achète un appartement pour la regarder déambuler à l'intérieur, pieds nus, seulement vêtue de sa chemise à lui. Mais elle semble toujours ailleurs, elle est pire qu'insatisfaite, Amélia semble satisfaite de tout, donc jamais heureuse de rien. Elle ne fait que disparaitre sans prévenir, et réapparaître sans prévenir aussi. Paul n'en peut plus. Commence alors la partie la plus difficile de leur amour, celle qui consiste à construire là où le meilleur est terminé.

Dans cette succession d'amours et d'abandons, on cherche au plus près la vérité, la lumière dans l'obscurité de la nuit. Faut-il répéter l'histoire pour la reconstruire ?
« Paul l'avait aimée et il n'avait aimée qu'elle, et même lorsqu'il disait ne pas l'aimer, lorsqu'il ne voulait pas l'aimer, il l'aimait encore. Elle était le coeur qui battait dans sa poitrine, ce coeur puissant, en apparence infatigable, quand elle, Amélia, était si fatiguée.»

Mon avis
Ce livre est sublime. Un des seuls de 2017 que je pourrais relire sans problème. Ces mots me paraissent même dérisoires face à l'émotion qu'a suscitée ma lecture. Je peux relire la dernière page de ce livre à l'infini et pleurer autant à chaque fois, c'est l'histoire d'un amour tragique et magnifique, mais pas seulement.
Déjà, l'auteur a une façon d'aborder les thématiques comme vous ne l'avez jamais lu ailleurs. Ultra poétique, métaphorique, les grandes phrases vous envoûtent dans des rouleaux de vagues infinies pour un style narratif hors du commun. Vous commencez par être aspiré par son flux, en emmagasinez les tensions, les sous-entendus, pour au final exploser d'émotions au fur et à mesure du roman.
Ces longues phrases vous demandent également du temps, exigent d'être relues parfois, pour en saisir tout le rythme, l'intensité, pour en comprendre les messages cachés, c'est une lecture qui demande du calme, la nuit, le silence, l'obscurité.
« Il faudrait rendre son obscurité à la nuit. » le roman regorge de phrases de ce genre, entre réflexions urbaines (y-a-t-il trop de lampadaires?) et philosophiques : rendre l'obscurité à la nuit, peut-on seulement arrêter la lumière, arrêter d'être éclairé en somme, faut-il cesser d'être aveuglé pour mieux y voir?
C'est peut-être en cela que ce roman est si plaisant, comme il requiert du temps, et du calme, de la patience, il nous permet une petite pause dans notre vie, un souffle, un apaisement.
Le thème de l'abandon suit tout le roman : Nadia abandonne sa fille, Amélia sa famille, pourquoi tout quitter? Ces femmes partent et pourtant on continue de les aimer, de les attendre, Paul aimera profondément Amélia toute sa vie, même dans l'absence. Ici, l'amour dépasse la présence, les mots, c'est un amour impossible à vivre et donc à oublier.
Ce roman nous parle de la ville, de son commencement et de sa fin, l'auteur a été profondément marquée par la guerre civile en Bosnie, mais le livre ne se veut absolument pas être un document, on n'y apprend rien, ce n'est pas le but ici, plutôt la reconstruction des êtres, leur impossibilité. Tout y est flou, abstrait, ou essentiel. Les êtres qui circulent dans le roman sont habités ou devenus à moitié fous d'épuisement, d'attendre, de comprendre. Tout le monde veut fuir mais comme le répète l'auteur à maintes reprises dans le récit, comme un refrain tragique :

"Et si le monde est grand, on ne peut pour autant en sortir."
Lien : https://agathethebook.com/20..
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Amélia, la fascinante Amélia Dehr, vit à l'hôtel, un hôtel de chaîne anonyme dont Paul scrute les écrans de surveillance. Entre Paul et Amélia, deux jeunes gens sans mère, il y a cet amour de jeunesse, étrange et passionnel. Si Paul continue à aimer Amélia toute sa vie, Amélia se retire, lui laisse leur enfant, rejoint le sort de sa mère, devient une femme disparue, inconnue, rêvée, perpétuellement interrogée.

« Elle était de ces gens qui détruisent tout et appellent ça de l'art. »


L'amour laisse place aux ténèbres de la disparition. Qu'est ce que la réalité ? Quel rôle y ont les images : fantômes, rêves et cauchemars, écrans qui nous distraient et nous surveillent ? Quelle liberté nous laissent-ils, oiseaux encagés et apeurés rêvant d'autre chose ? Qui sommes-nous dans ce monde qui, de haine en ruine, gagné par le sable et les lois du marché, va vers son anéantissement : ceux que nous sommes, ceux que nous croyons être, ceux que les autres voient en nous ? L'art peut-il nous sauver ou n'est-il qu'une vaine tentative de se leurrer ? Comment aimer, protéger, rester soi ? Qu'est-ce qu'être aimé.e ?

Jakuta Alikavazovix, dans un récit terriblement romanesque, se confronte, sans jamais y répondre à tous ces questionnements.

L'avancée de la nuit est un roman complexe, étrange roman de l'absence et de la filiation, de la solitude et de l'abandon, palpitant d'émotions, de symbolique et de mystères, de thèmes entrecroisés, porté par un style incandescent et déroutant.
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= Un roman hautement psychologique=

Loin des romans d'amour et érotiques, ce roman d'amour est d'une pure délicatesse. Telle une plume se frayant un chemin à travers deux êtres humains totalement différents.
‘‘Le temps passait. Ils s'aimaient. Paul voulait tout d'Amélia, son esprit, son corps, la chaleur qu'il dégageait et que l'on sentait même à quelques centimètres de distance, et si l'on se concentrait sur ce rayonnement, si on l'éprouvait avec attention, il valait pour un contact.''

L'autrice utilise avec délicatesse les mots sans faire dans la demi-mesure. Une valse lente de la vie et des sentiments, le tout dans la pudeur, mais sans les non-dits.

Au-delà de l'histoire d'amour entre Paul et Amélia, il va être question de la rencontre de deux personnes de catégorie sociale opposée. Paul est issu d'un milieu modeste tandis qu'Amélia est une riche héritière. Elle dont la réputation sulfureuse à l'université ne va pas impressionner Paul. Il verra en elle ce que les autres ne voient pas !

Des personnages bien travaillés par l'autrice.
Elle fera au travers de ses mots et ses descriptions, plonger le lecteur au plus profond de l'esprit, de l'être des personnages.
Description psychologique très réaliste, comme des mots que l'on ne s'est jamais autorisés à dire tout haut lorsque nous-mêmes étions jeunes et qui nous ramènent à nous même !

L'autrice abordera aussi la guerre d'ex-Yougoslavie. Description des villes en ruines qui se reconstruisent. Portant le lecteur à la réflexion et le sensibilisant à cette étape.

Intrinsèquement, la question de l'éducation, ou le faite que notre éducation, notre façon de vivre enfant impacte ce que jeune adulte puis adulte nous deviendrons, sera largement abordé dans la deuxième partie du roman.

Magnifique, très intelligent, un roman qui m'a plongé dans un univers réaliste dont j'en ressors avec des questionnements personnels.
Mon premier roman de cette autrice et certainement pas le dernier.

Lien : https://livresdeblogue.blogs..
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Jakuta Alikavazovic parvient à capter l'insalissable d'un être. Amélia revient tel un fantôme dans la vie de Paul et toute une nuit permet alors à cet esprit de revivre dans le coeur, le corps de l'homme. le temps du présent devient celui du souvenir et d'une profonde émotion. Paul ne semble avoir vraiment existé que grâce à Amélia, par une compétition intellectuelle  au commencement, par une amitié atypique et par un amour passionné. Cette histoire et cette femme nous sont racontés par un narrateur omniscient, évitant de donner ce rôle à Paul et d'en faire une sorte d'amoureux transi et aveuglé. Il l'est pourtant mais par intermittence. Paul apprend à vivre, là où Amélia flotte beaucoup plus. Malgré cela, l'autrice met en scène de manière intelligible et sensorielle ces deux êtres. Elle nous donne des clés avec des images fantasmagoriques. Les chambres d'hôtel, lieux sinistres et de rêveries, hantent tout le roman. Elles accueillent autant l'amour que le début des guerres. Elles sont marquées par le passage furtif et le temps long. Jakuta Alikavazovic réunit les nuances de la vie dans cette relation et l'histoire respective de chacun. Paul est un ignorant, souffrant de sa pauvreté, de sa dépendance à l'argent et animé par une soif de savoirs. Amélia n'a semble-t-il jamais appris à vivre. Elle fut un objet d'apprentissage au lieu d'être un enfant. Ils ne se ressemblent pas et ne se complètent pas non plus. Leur chemin se sont croisés et l'émotion de cette rencontre est palpable et captivante. Cette histoire d'amour – car il ne s'agit que de cela, d'un amour tellement puissant, tellement unique qu'il n'aura pas de succession – met à l'épreuve le temps et la mémoire. Aucun des deux ne peut oublier et le souvenir de cette intensité relationnelle hante alors tous les lieux. Là encore, le talent de la romancière se trouve dans sa manière de mettre en scène les lieux. Ils deviennent les traces de cette histoire. Ils en portent les marques, donnant une dimension immense à cette histoire. Explorant l'amour, la perte de soi pour l'autre, Jakuta Alikavazovic atteint lentement les peurs profondes des personnages, vis-à-vis de la guerre ou de toute forme de violence. Chaque parole, chaque mouvement de corps, chaque geste de lâcheté témoignent de la beauté de cet amour si intense, si unique et si destructeur.
Lien : https://tourneurdepages.word..
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Fascinant... que dire d'autre ?!
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