L'Histoire de Bone

— On fait parfois des choses terribles à ceux qu'on aime, a-t-elle dit. On peut pas l'expliquer. On peut pas l'excuser. Ça nous achève, mais on l'fait quand même.

— Quand une femme se met en tête de devenir folle, autant ne pas la contrarier.

Tu ferais mieux de bien réfléchir à c'que tu veux et à ceux à qui t'en veux, Ruth Anne. Tu ferais mieux de bien réfléchir.

Les choses se défont tellement facilement quand elles ne tenaient que par des mensonges.

C'était à la mort que tante Ruth pensait tout le temps. C'était à cause de ça qu'elle parlait autant, aussi intensément. La mort était le feu qui la consumait.

Elle sait, ai-je pensé, elle sait ce que c'est que désirer ce qu'on aura jamais. Je l'avais sous-estimée.

Maman disait toujours qu'on pouvait déchiffrer l'âme sur un visage, qu'on pouvait y lire la méchanceté et le manque de charité. Avec toute la méchanceté que j'essayais de cacher, je m'étonnais de ne pas être plus affreuse qu'un crapaud dans sa vase.

La faim rend nerveux. On rêve de manger — pas n'importe quoi, mais quelque chose de parfait, le fin du fin, un repas magique, renommé et intimidant, un morceau de viande exceptionnel, un maïs onctueux au goût merveilleux, des tomates tellement mûres qu'elles éclatent et répandent une odeur sucrée, des haricots tellement croustillants qu'ils craquent entre les dents, de la sauce qui ressemble à du lait maternel et vous berce le sang.

Quelque chose s'est produit en moi, quelque chose que je n'avais encore jamais ressenti et que je ne savais pas combattre. La colère m'a frappée comme une balle de base-ball, qui arrive, sèche et rapide, lancée par une batte neuve.

— Tous les deux, ils ressemblent plus à des meubles qu'à autre chose, avait dit un jour mamie. Ils occupent seulement de l'espace et prennent la poussière, comme une armoire ou un canapé.