Souvent, on dit que les obsessions de l'enfance conditionnent nos actions à l'âge adulte. Qu'une peur, qu'un choc va nous mener à des combats personnels qui ne cesseront qu'avec notre dernier souffle. Dans ce livre,
Selva Almada nous révèle le sien : faire en sorte que les féminicides soient enfin reconnus par le gouvernement Argentin et contribuer, à sa façon, à les endiguer. Vaste lutte, et on se dit qu'un simple récit ne suffira jamais à faire évoluer cette idée, si bien ancrée, que le corps des femmes est une propriété publique. Pourtant, il suffit parfois d'une pierre lancée pour qu'éclate la révolution.
A la façon d'un reportage sur les traces de trois jeunes oubliées, l'auteure témoigne de la condition des jeunes filles dans l'Argentine des années 80.
Andrea, 19 ans, étudiante assassinée dans son propre lit. Maria Luisa, 15 ans, petite bonne retrouvée sans vie sur un terrain vague et Sarità, 20 ans, jeune mère de famille qui n'est jamais rentrée d'une balade avec son amant. Pourquoi avoir tué ces trois jeunes filles ? Qui sont les coupables ? L'objectif de l'auteure n'est pas forcément de répondre à ces questions, mais plutôt de rappeler que ces disparitions "étranges" ne devraient pas être banalisées.
En enquêtant auprès de leurs proches, elle dépeint un quotidien dans lequel les jeunes femmes vivent continuellement avec une épée de Damoclès au dessus de la tête et n'ont finalement peu de choix. Faire des études ? Très peu, comme Andréa, peuvent y prétendre. Les adolescentes travaillent souvent dès leur plus jeune âge, se marient tôt et tombent enceintes tout aussi rapidement, enfin quand l'un ne conditionne pas l'autre. Si elles sont belles, peut-être pourront-elles échapper aux pénibles travaux ménagers, pour une tâche plus en accord avec leur beauté... la prostitution. Trois exemples, qui en disent long sur les moeurs ultra patriarcales de cette société. La domination masculine est un prérequis, alors que peut-on espérer en tant que femme ? Peut-on considérer que la vie d'une femme a une vraie valeur ?
Là est également la question, et en prenant ces trois femmes pour exemple, l'auteure s'attache finalement à souligner l'universelle question de l'égalité des droits. J'ai beaucoup aimé son ton plus journalistique que romanesque, qui nous plonge vraiment dans la réalité, tout en laissant place à l'émotion. A la façon d'un carnet de notes,
Selva Almada retranscrit les faits en y ajoutant sa propre analyse. La frontière entre objectif et subjectif est ténue, mais grâce à cela on prend conscience de l'horreur de la situation.
Conclusion, je ne pensais pas m'embarquer dans une telle histoire et j'en ressors avec un puissant sentiment d'impuissance. Ce texte mélange un fort ésotérisme et une étrange fascination pour la mort, et pourtant il met en scène un contexte social aussi dur à accepter qu'impossible à faire bouger. En mettant ses qualités littéraires aux service d'une cause qui lui tient à coeur, l'auteure fait un premier pas pour faire bouger les frontières du respect.
MA NOTE
15/20
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