Ben Aïcha

Elle avait des joues roses et des yeux avec une exquise impertinence, qui affirmaient haut et fort qu’ils ne prenaient pas le monde au sérieux. On disait que c’était un garçon manqué et cela lui plaisait bien. Elle était née dans le foyer d’un couple singulier, qui ne comprenait pas – et qui le disait – pourquoi une femme ne devrait pas agir à l’instar des hommes. Elle n’avait que mépris pour les minauderies et battements de cils, ces exercices superfétatoires dans lesquels certaines femmes excellent et qui ne trompent pas grand monde.

Son ventre comme ses reins attendaient sans hâte, mais tendus de désir, le corps qui se mélangerait bientôt à eux dans une noce incomparable.
Leurs gestes se plaisaient à tâtonner comme des aveugles dans un dédale, cet empire où les amants savent se passer de leurs yeux pour trouver leur juste chemin.

Vous avez sûrement maille à partir avec quelqu’un, vous avez un ennemi dont vous voulez vous défaire. Je peux vous débarrasser de celui ou celle qui vous vaut cette mine déconfite ou enlever l’élue de votre cœur, si elle est retenue dans un trou quelconque.

J’ai l’avantage de formuler les choses comme elles me viennent, je ne me soucie jamais de les habiller autrement. Inutile de vous faire croire que je descends en droite ligne de la cuisse du Jupiter qui gouverne ce pays. Cela serait contraire à la vérité, à laquelle je suis lié par un pacte sacré. Cela étant dit, s’il fallait un jour quelqu’un pour couper la tête du monarque, je vous autorise à dire que je suis celui-là !

On voyait à peine le visage des clients, hommes et femmes, qui étaient bien partis pour s’encanailler jusqu’au milieu de la nuit. Il y avait là des musiciens, des poètes, mais aussi des scélérats, des camelots et des femmes qui multipliaient les stratagèmes pour ne pas repartir bredouilles chez elles. Ben Aïcha s’installa dans une alcôve et commanda un pichet de bière.

Sachez que bien des hommes qui gouvernent cette nation ont mangé dans ma main. Je les tiens, comme un maître tient un caniche au bout d’une laisse. Connaissez les secrets d’une âme et faites-en ce que vous voulez. N’est-ce pas Confucius qui a dit ça ? Quant à vos hommes, ils avaient bonne mine, rassurez-vous. Le plus jeune surtout m’a donné l’air d’avoir aimé cet épisode derrière les verrous. J’ai cru comprendre qu’il était content de voir comment les captifs mahométans étaient traités chez nous.

Elle était plus belle encore qu’à Versailles ! Et plus belle que dans son plus beau souvenir. Il la déshabilla, en ne sachant plus comment cela se faisait, il n’arrivait pas à contrôler ses mains, ses doigts ne lui obéissaient plus, ils restèrent un moment debout, il la regarda de nouveau, pour se convaincre que tout cela était vrai, puis ils roulèrent sur le sol, elle se livra, heureuse d’être enfin captive comme elle avait tant rêvé de l’être, il posa partout sur son corps frémissant ses lèvres avides. Tout en lui tremblait. Il regardait son front, ses joues, ses yeux, sa poitrine, son ventre…

Elle n’était pas belle, mais elle avait quelque chose, oui, un naturel spontané, presque innocent, qui la rendait très touchante. Elle avait les traits fins et si ses hanches étaient un peu lourdes, elle devait avoir déjà été séduisante. À l’en croire, elle avait une cohorte de prétendants. L’un d’eux vivait au château, disait-elle en minaudant comme une jeune pousse, aux côtés du roi, et elle avait toujours su jusque-là calmer ses ardeurs.

Elle dormait peu, et d’un œil seulement. Comme les grands hommes qui ont bâti le monde, disait-elle. Elle n’y alla pas par trente-quatre chemins pour s’adresser au nouveau venu. Elle savait déjà qui il était, puisqu’il lui avait été recommandé par Saint-Anselme ! Elle fit quelques pas encore, elle voulait le voir de plus près.

— Madame, cette femme, la princesse, a ravi ma raison.
— Comme je vous comprends, monsieur ! Elle aurait ravi la mienne, si j’avais été un homme, ma seule chance est d’être une femme jusqu’au bout des ongles et de n’avoir un faible que pour les hommes. Ils me perdront, mais je leur resterai éternellement fidèle pour le bonheur qu’ils me donnent.