Tout homme a les principes de la chose qu'il possède.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
Rien ne discrédite aujourd'hui plus promptement un homme que d'être soupçonné de critiquer les machines.
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Car si la bombe a eu un effet, c'est d'avoir fait aujourd'hui de l'humanité une humanité en lutte. Elle a réussi là où les religions et les philosophies, les empires et les révolutions, avaient échoué : elle a vraiment réussi à faire de nous une humanité. Ce qui peut tous nous toucher nous concerne tous. Le toit qui s'effondre est devenu notre toit à tous. C'est en tant que morts en sursis que nous existons désormais. Et c'est vraiment la première fois.
Nous n'avons pas lieu d'être foyers qu'il a fallu la bombe pour que nous y parvenions. Mais oublions cela. Maintenant nous sommes de fait des morts en sursis. Prouvons nous que nus pouvons l'être sans nous résigner, et vivons dans l'espoir du jour où nous compterons les peurs apocalyptiques d'aujourd'hui parmi les cauchemars du passé et où l'on pourra dire des propos que j'ai tenus ici : « Quel pathos inutile ! »
Inférieur à sa tâche, l'homme qui s'angoisse reste loin derrière l'homme qui produit. C'est dans cette mesure que « l'homme est plus petit que lui-même ».
Car l'angoisse est aujourd'hui devenue une marchandise. Tout le monde en parle, mais il n'y a que très peu de gens que l'angoisse fait parler.
Les expériences ont beau parfaitement réussir, l’essai en tant que tel est un échec, parce que tout essai devient bien plus qu’un essai. Les effets sont si énormes qu’au moment où a lieu l’expérience, le « laboratoire » devient coextensif au globe. Cela signifie tout simplement qu’il n’y a plus à distinguer entre « essai » et « réalisation », que toute « expérience » est devenue « utilisation ».
Ce qu’on appelle « expérience » est donc constitutif de notre réalité historique ; c’est notre réalité historique. Que nous disions : « Les expériences ne sont plus des expériences », ou bien : « Elles sont des événements historiques », cela revient au même.
Aujourd'hui, les « expériences » nucléaires ne sont plus des expériences.
On appelait autrefois « monstrueux » les êtres que l’on ne pouvait pas classer. On considérait comme des « monstres » les êtres qui, tout en étant dépourvu d’ « essence », existaient pourtant et qui, lorsque quelqu’un leur demandait ce qu’ils étaient, lui crachaient leur non-être au visage en éclatant de rire.
La bombe est un tel être. Elle est là, bien qu’elle n’ait pas d’essence. Et son non-être nous coupe le souffle.