Hanson était allongé sur le dos et regardait les nuages défiler à travers le toit d’épineux, en souriant dans le noir. Il était à près de quinze mille bornes de chez lui, en plein milieu d’un carré de broussailles, en train de participer à une opération transfrontalière illicite, cerné de toutes parts par l’ennemi, et il était heureux. Bien sûr, il y avait la peur, mais il était aussi heureux que possible, aussi heureux qu’il avait jamais rêvé de l’être. La seule chose dont il avait à s’inquiéter, c’était de rester en vie. S’il se plantait, il mourrait, et tous ses problèmes seraient terminés.
Hanson ignorait encore qu’il venait de décider de faire ce que l’armée attend précisément de certains de ses hommes, des meilleurs des siens - tenter de la battre à son propre jeu. Guerre était le nom de ce jeu et, lorsqu’on frôle la guerre de trop près, qu’on la regarde au fond des yeux, elle peut vous entraîner tout entier, muscles, cervelle et sang, jusqu’au plus profond de son cœur, et jamais plus vous ne trouverez la joie en dehors d’elle. Hors d’elle, amour, travail et amitié ne sont plus que déboires
Hanson ne s'en rendait pas encore compte, cette nuit là, mais un jour viendrait où il réaliserait qu'il est impossible de fraterniser avec les seule hommes libres d'une armée, avec les meilleurs de ses assassins sans devenir soi-même l'un d'entre eux.
Plutôt que de la balle qui porte ton nom gravé, c'est de celle adressée"À qui de droit" que tu devras te garder . C'était là une petite phrase qui illustrait avec éloquence les deux manières possibles d'envisager la vie et la mort, au Viêtnam.
Il se demanda quel effet ça ferait d'être sourd. Mais les explosions, celles en tout cas qui se produisent assez près de vous pour vous blesser, vous les ressentez dans vos os.
Hanson avait été entraîné à tuer, c’était là le grand art qu’avait su maîtriser sa jeune vie et, lorsqu’il se sentait bien, une partie de lui-même aspirait à tuer quelqu’un, comme d’autres mouraient d’envie de courir, de skier, de danser ou de déclencher une bagarre dans un rade.