Les éditions Préludes m'ont régalée, fin 2020, avec
le Chant du Perroquet de
Charline Malaval, c'est donc avec empressement que je me suis attelée à la lecture de ce roman, qui est sorti ce mercredi 10 février. La quatrième de couverture l'affirme, ce roman est bouleversant. Sans aucun doute, je confirme cette impression après sa lecture. Peut-être le fait que je l'ai commencé et terminé en à peine deux jours ajoutera un peu plus de poids à mon affirmation. le sujet a touché à toutes les cordes sensibles de ma personnalité de lectrice, une à une, jusqu'à ce que j'en aie tournée la dernière page. Il s'avère que depuis quelques semaines j'ai bien volontairement débuté un cycle de lecture et de visionnage relatif à la période de la Seconde Guerre Mondiale, sans le vouloir vraiment. Avec le récit de
Reine Andrieu, nous abordons le thème à travers le traumatisme d'une enfant amnésique et à travers la disparition d'une famille bourgeoise a priori très traditionnelle pendant l'occupation allemande.
Dès le début, on se doute que l'histoire qu'Angèle, prénom dont l'affuble son protecteur Justin un jeune gendarme, porte en elle, est bien trop lourde pour une petite fille de dix ans. Cette ombre d'enfant, qui sort des bois en même temps que de cette guerre absolument traumatisée, est, on s'en doute, est le fil conducteur de
Reine Andrieu, ce fil qui va lui permettre de bâtir une histoire, faites de rencontres inopportunes, tristement et pathétiquement tragiques. Angèle a la chance d'être recueillie par cette bonne âme qui lui fournit un début d'affection et de protection en attendant que la vérité se fasse jour dans son cerveau embrumé par le choc. Tandis que le lecteur remonte lui-même le fil du passé en découvrant l'histoire de cette famille Lenoir, qui n'a rien d'exceptionnel hormis le fait d'avoir à son service un jardinier, Germain, une cuisinière Cosima et une femme de chambre, Ernestine. Et surtout d'être farouchement anti-allemand contrairement aux autres familles de notables qu'ils reçoivent, sereinement envasés dans le confort qui est le leur, celui de croire aveuglément les instances de Vichy. Car après l'arrivée des Allemands, après que notre bon Maréchal s'est assuré de l'accueil réservé à nos voisins envahisseurs, commence pour les Lenoir une difficile partie de cache-cache, il ne fait pas forcément bon d'afficher son opposition dans la France défaite. Qui prendra une ampleur, et une tension, incroyables dès l'arrivée du soldat Kohler, au fur et à mesure que les mois s'écoulent, les actions « terroristes » prenant jour devant l'ombre des patrouilles allemandes qui circulent un peu partout.
Ne nous arrêtons pas au résumé de la quatrième de la couverture et à cette amorce sur les sentiments de la mère de famille envers l'intrus allemand, qui a en quelque sorte brisé l'harmonie de leur foyer. Ce roman est investi d'une dimension supérieure, si l'arrivée de Günter l'allemand provoque des réactions en chaîne, à commencer par le trouble de Néomie.
Reine Andrieu a fabriqué un dénouement tragiquement insensé, malgré les bonnes intentions et des autres. Finalement, à l'image de cette guerre, comme de toutes les autres, et des millions de morts qu'elle a entraînée. La famille Lenoir ne se limite pas aux parents et à leurs deux enfants : il y a bien sur Armand, le médecin au coeur même de la vie de Lignon puisqu'il y reçoit tous ses habitants en consultation, Noémie son épouse qui semble s'être engagé dans son mariage par fatalité, la fille ainée Solveig, et le petit dernier, Valentin. le personnel de maison, comme une branche lointaine de la famille, a son importance, et pas des moindres. de nombreux auteurs l'ont compris, je pense ici à Journal d'une femme de chambre d'
Octave Mirbeau, ce sont les yeux et les oreilles de la maison, et le jardinier et la femme de chambre ne sont pas en reste. En l'absence du maître de maison, occupé à soigner, dans le désoeuvrement de la mère, ce sont eux qui font tourner la maison, du moins dans un premier temps. Car l'arrivée de l'allemand va tout bousculer, tout le monde, leur facilité de vivre. C'est un roman choral qui inclut également les voix de Germain et d'Ernestine, et par le prisme de ces voix, le lecteur obtient une assez juste vision de l'ambiance de la maisonnée, et évidemment les cachotteries de chacun.
A mesure que les mois passent, et que la tension s'accroit entre occupants et occupés, ces derniers mus par la faim qui leur tiraille le ventre, et les premiers énervés de cette résistance indomptable qui compte un nombre croissant de membres. Ce qui est incroyable dans ce roman, c'est que l'auteur a mis en scène une miniaturisation de cette société, avec ses français divisés, les Lenoir cachant leur attachement aux mouvements souterrains apparaissent comme des Français attachés au régime de Vichy, face à Germain et Ernestine qui les méprise pour ce patriotisme, avec l'occupant allemand personnalisé par Günter.
Reine Andrieu a construit une maisonnée ou chacun se cache de tout le monde, afin de se préserver, préserver leur action, et c'est bien là le malheur car c'est une bombe qui va finir par exploser dans leurs mains.
Si l'aventure de la française Noémie et de l'allemand Günter constitue peut-être une des belles parts de ce roman, en quelque sorte cette embellie avant l'orage, l'auteure instaure également par là un compte à rebours dans cet embrouillamini de non-dits entre les uns et les autres, qui on s'en doute va laisser place à une fin tragique menée de main de maître. J'ai apprécié que
Reine Andrieu se soit attachée à construire des personnages qui ne se réduisent pas qu'à la simple image qu'ils sont censés représenter : celle du parfait petit nazi, celle des bourgeois insouciants, lâches et égoïstes, des domestiques peu concernés ou, au contrairement, totalement patriotes. J'ai tout autant apprécié qu'elle ne se soit pas cantonnée à rédiger une simple histoire d'amour illicite entre deux des personnages, qui est là après tout pour donner le véritable coup de feu à une situation de plus en plus intenable. L'auteure, en effet, excelle à décrire et mettre en place les mécanismes qui vont mener au malentendu final, cette montée en puissance de l'oppression allemande qui amène de fait certaines personnes à changer pour ne pas disparaître et à s'initier à une sorte de résistance, en s'oubliant derrière l'action collective qui vise le bien commun. le style de l'auteur tout en délicatesse, élégance et circonspection forme un contraste bienvenu avec l'agressivité, la gravité des évènements en cours et les enjeux des actions des personnages : un style qui laisse la voix à une atmosphère très posée au sein de cette demeure qui semble être le dernier coin de bonheur pour tous.
Cette histoire palpitante m'a, par bien des côtés, fait penser au magnifique
Cette nuit, je l'ai vue de
Drago Jancar, lu il y a quelques mois. Il possède tous les éléments narratifs – suspens, surprise, rebondissements – pour plaire, et est passionnant d'un bout à l'autre du récit. C'est un premier roman que de mon point de vue je trouve réussi, cette structure en roman choral est très judicieuse dans la mesure ou l'alternance des points de vue donne du relief à cette histoire, qui porte en son coeur, à travers ses drames, les mouvements de résistance et l'héroïsme de gens ordinaires qui vont s'élever, et malheureusement, ce qui fait partie du lot aussi tous les malentendus qui découlent de ce cette clandestinité.
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