"J'écris parce que je crois que j'ai quelque chose à dire. C'est la vie que j'ai mené entre dix-huit et vingt ans, entre mon échec au bac et mon départ au régiment."
Un jeune homme bourru raconte son quotidien sur une période de deux ans, au début des années 50, durant lesquels il travaille comme manoeuvre dans des scieries des bords de Loire. C'est un travail de force qui se déroule dans de rudes conditions. Il fait froid, humide, les cadences sont infernales et les accidents fréquents. On est immergé dans les manoeuvres techniques de
la scierie et la compétition virile entre les ouvriers. le narrateur veut prouver, d'abord à lui même, ainsi qu'aux autres qu'il est capable de tenir le rythme. Il s'accroche autant par orgueil que par nécessité financière. Les conditions deviennent de plus en plus éprouvantes si bien qu'il attend sa convocation au service militaire comme une délivrance.
L'auteur semble écrire pour lui même, pour garder une trace de cette expérience, et l'écriture est brute, précise et sans fioritures. Cette narration convaincante plonge dans la tête de ce jeune campagnard, déterminé et pragmatique, et inconsciemment imprégné d'une idéologie machiste dont le principal enjeux est la domination par la force (du bois, des machines, et de ses collègues). Sur le fond, ce récit authentique présente un intérêt sociologique, mais il reste au premier degré et n'expose aucun questionnement ou remise en question. Bien au contraire, le narrateur est fier de se sentir devenir un homme, "un vrai", c'est à dire dont la valeur se mesure uniquement à sa dureté.
"Bien sur, le contact brutal avec des réalités que je ne soupçonnais même pas m'ont durçi le caractère, et bien plus que je ne l'aurais voulu. Tant pis il est trop tard."
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À propos de la préface
Le livre est préfacé par
Pierre Gripari en 1975 qui interprète le récit comme une lutte des classes inversée : la conflictualité du rapport entre ce jeune homme et les autres ouvriers serait due à leur différences de classes. Effectivement le narrateur n'est pas affable avec ses collègues. Cependant, est ce que la cause vient de ses origines bourgeoises ou simplement de son attitude de novice orgueilleux ? M. Gripari semble projetter ici ses fantasmes politiques : "Si la lutte des classes est une réalité, on ne peut pas se contenter de l'accepter en paroles : il faut se battre réellement contre le philistin ouvrier. Celui-ci se gêne-t-il quand il est au pouvoir ? Non seulement il génocide les grands bourgeois, les artisans, les paysans propriétaires, mais il il n'a même pas l'excuse de fonder une société qui tienne debout! En fait il organise la régression, dans tous les domaines : politique, social, culturel et économique."
Quel condensé de banalités réactionnaires ! Comme s'il était nécessaire de rappeler à la bourgeoisie la nécessité de lutter contre les classes populaires. Elle en est déjà pleinement consciente et a largement gagné ce combat "contre le philistin ouvrier". Ensuite, légitimer cette domination avec l'argument que, dans l'hypothèse d'une inversion du rapport de force, le gouvernement populaire serait génocidaire et incompétent, est aussi honnête que d'assimiler tous les pouvoirs bourgeois au régime de Pinochet.
La lecture de la page wikipédia de M. Gripari permet de situer cet homme tout en nuances : "Communiste de tendance stalinienne de 1950 à 1956, il se rapproche ensuite des milieux d'extrême droite."