Citations sur Le Voyageur sans bagage, suivi de Le Bal des voleurs (39)
Toute notre vie avec notre belle morale et notre chère liberté, cela consiste en fin de compte à nous accepter tels que nous sommes (in Le voyageur sans bagage)
Le voyageur sans bagages :
Et puis ne m'appelez pas Jacques... Il a fait trop de choses, ce Jacques. Gaston, c'est bien ; quoique ce ne soit personne, je sais qui c'est.
- Foutre ! Quel scandale !
- Mon petit Gaston, tout nous prouve, en tout cas, que vous aviez besoin d'éducation. Je vous ai déjà interdit d'employer ce mot.
- Scandale ?
- Non...Elle hésite. L'autre
Des obligations, des haines, des blessures....Qu'est-ce que je croyais donc que c'était, des souvenirs ? Il s'arrête, réfléchit. C'est juste, j'oubliais des remords. J'ai un passé complet maintenant.
Y pensez-vous, Madame la Duchesse ? Vous me confiez votre argenterie à table ; au château ma chambre est à deux pas de la vôtre...Et si j'avais déjà tué trois hommes ?
- Vos yeux me disent que non.
- Vous avez de la chance qu'ils vous honorent de leurs confidences. Moi, je les regarde quelquefois jusqu'à m'étourdir pour y chercher un peu de tout ce qu'ils ont vu et qu'ils ne veulent pas rendre. Je n'y vois rien
Et puis, ne m'appelez plus Jacques...Il a fait trop de choses, ce Jacques. Gaston, c'est bien; quoique ce ne soit personne, je sais qui c'est. Mais ce Jacques dont le nom est déjà entouré des cadavres de tant d'oiseaux, ce Jacques qui a trompé, meurtri, qui s'en est allé tout seul à la guerre sans personne à son train, ce Jacques qui n'a même pas aimé, il me fait peur.
C'est un mot d'amnésique. Nous autres, qui avons notre mémoire, nous savons qu'on est toujours obligé de choisir une direction dans les gares et qu'on ne va jamais plus loin que le prix de son billet.
Je ne me rappelle d'ailleurs pas avoir entendu dire qu'un auteur dramatique connu ait été porté disparu à l'ennemi pendant les hostilités. Ces gens-là notifient dans les magazines leurs moindres déplacements, à plus forte raison leur disparition.
Foutriquet. Quand Albert est venu m'annoncer ce résultat inespéré, il m'a crié en entrant : " Tante, mon malade a dit un mot de son passé : c'est un juron ! " Je tremblais, mon cher. J'appréhendais une ordure. Un garçon qui a l'air si charmant, je serais désolée qu'il fût d'extraction basse. Cela serait bien la peine que mon petit Albert ait passé ses nuits - il en a maigri, le cher enfant - à l'interroger et à lui faire des abcès à la fesse, si le gaillard retrouve sa mémoire pour nous dire qu'avant la guerre il était ouvrier maçon ! Mais quelque chose me dit le contraire. Je suis une romanesque, mon cher Maître. Quelque chose me dit que le malade de mon neveu était un homme extrêmement connu. J'aimerais un auteur dramatique. Un grand auteur dramatique.
Cela fait peur aux gens sans doute qu'un homme puisse vivre sans passé. Déjà les enfants trouvés sont mal vus... Mais enfin on a eu le temps de leur inculquer quelques petites notions. Mais un homme, un homme fait, qui avait à peine de pays, pas de ville natale, pas de traditions, pas de nom... Foutre! Quel scandale!