Pablo mon ami tu disais avec ce langage angoissant
Où se font paroles étranges
N’est large espace que douleur et n’est univers que de sang
Si loin que j’aille rien ne change
Je connais ce souffrir de tout qui donne bouche de tourment
Amère comme l’aubépine
A tous les mots à tous les cris à tous les errements
Où l’ame un moment se devine
Le paresseux
Extrait 2
Le soleil joue à toute porte
Et fait miracles pour le blé
Le premier vin est rosé
Il est doux comme un enfant tendre
Le second vin est vin robuste
Comme la voix d’un marinier
Le troisième est une topaze
Incendie et coquelicot
J’ai mer et terre à la maison
Ma femme a des yeux gigantesques
Couleur des noisettes des bois
Et lorsque vient la nuit la mer
Se pare de blanc et de vert
Et puis dans l’écume la lune
Rêve en fiancée océane
Pourquoi donc changer de planète
"Qu'y pouvons-nous. C'est notre vie ainsi qu'une table servie
A peine on te versait le vin sans le boire il faut que tu partes
Pablo la vie au bout du compte la maison de notre vie
Même debout tu le sais bien n'est jamais qu'un château de cartes
L'étrange c'est précisément qu'elle demeure ainsi debout
après tout ce qui se passa qu'elle ait semblance de fenêtres
Le calme du lait sur le feu le temps qu'on se détourne il bout
Et pour l'homme et pour la maison crouler est soudain comme naître
(...)Nos faisons mine d'être.
Il suffira qu'on s'appuie aux cloisons
Ou tout le passé meurt que tombe l'homme ou tombe la maison
Faut-il croire que l'avenir est le prix de ce sacrifice (...)
Un poète un poète où les soleils descendent
Je connais comme lui cette heure du frisson
Et je suis dans le ciel ses mouettes chansons
Après nous qui s'en vont en quête d'autres Andes
Entre mourir et non mourir cet homme-ci
A fait son choix croyant qu'il n'était pas trop tard
D'à vivre ou d'à périr préférer la guitare
Et pour mieux l'écouter les mots s'étaient assis "
Tu disais imprudent au jeu
Naguère mais aujourd'hui n'oses
Répéter que mieux tu reposes
Si dans la noix même du feu
On décrit parfois de ces choses
Qu'à relire on est malheureux
[...]
Entre mourir et non mourir cet homme-ci
A fait son choix croyant qu'il n'était pas trop tard
D'à vivre ou d'à périr préférer la guitare
Et pour mieux l'écouter les mots s'étaient assis. (p.18)
Continueront leurs voyages choses
de métal entre les étoiles,
monteront des gens exténués,
violenteront la douce lune
pour y fonder leurs pharmacies.
En ce temps de pleine vendange
le vin commence alors à vivre
de la mer à la Cordillère.
Au Chili dansent les cerises,
chantent les fillettes obscures
et dans les guitares l’eau brille.
Le soleil touche toute porte
et fait miracles de tout blé
le premier vin de teinte rosée,
il est doux comme un enfant tendre,
le second vin lui est robuste
comme la voix d’un marinier
le troisième vin est une topaze,
coquelicot et incendie.
Ma maison compte mer et terre
et ma femme a d’immenses yeux
couleur des noisettes sylvestres,
lorsque survient la nuit la mer
se pare de blanc et de vert
bientôt la lune dans l’écume
rêve en fiancée océane.
Je ne veux changer de planète.
extrait de "Elégie à Pablo Neruda"
Vaguedivague, 1958, Traduction de Louis Aragon revue par Mélina Cariz
Le paresseux
Extrait 1
Continueront voyager choses
de métal entre les étoiles
des gens s’exténueront monter
pour violer la lune douce
là-bas fonder leurs pharmacies
En ce temps de vendanges pleines
le vin chez nous commence à vivre
de la mer à la Cordillère
Au Chili dansent les cerises
chantent des fillettes obscures
et dans les guitares l’eau brille
…