Metin Arditi est d'origine turque séfararade, c'est dire qu'il connaît son sujet, il connaît d'ailleurs une foule de sujets, Metin, c'est un couteau suisse, lui aussi.
Ce livre est une histoire de peinture et de religion. Elie, le petit juif orphelin, n'a pas le droit de dessiner, les rabbins, l'interdisent. Alors, il dessine dans sa tête et il emmagasine ses dessins dans une « pile ». Il apprend aussi du faiseur d'encre, comment fabriquer des liants et des exhausteurs de couleurs.
Son enfance à Constantinople est solitaire, juste illuminée par les corps des esclaves vendues par sa belle-mère (savoureuse) entrevues par la fente du grenier. Cette partie est assez vite brossée.
Puis, on saute 40 ans plus tard. (C'est un peu trop vite sauté, à mon goût). Mais il est arrivé à Venise. Passé par l'atelier d'un peintre renommé (Titien ?) il devient LE peintre incontournable, il a même dépassé le maître.
Et vint la commande de trop. Qui fait tout basculer.
On assiste à la bataille des religions, sous fond de corruption généralisée dans l'église. A Venise, au XVI°S (nous sommes en 1576) les Juifs sont stigmatisés, considérés comme hérétiques et passibles de pendaison s'ils enfreignent, même d'un cheveu, les règles.
Elie n'échappe pas à son destin. Dénoncé, trahi, il est condamné à mort et ses tableaux, impies, vont être brûlés dans un gigantesque autodafé, sauf un.
C'est le postulat génial de
Metin Arditi. Et si cet homme au gant n'était point de Titien (il n'est signé que d'un T, ce que Titien n'avait jamais fait) mais plutôt de l'élève qui aurait dépassé le maître. D'où ce personnage imaginaire du Turquetto, et cette plongée dans le Venise du ghetto et des Doges, cette Venise de la couleur, cette Venise pestilentielle et merveilleuse.
Arditi connaît sur le bout des doigts la peinture de la Renaissance (j'avais lu
l'Imprévisible où le héros principal était un tableau de la Renaissance florentine) et c'est un vrai plaisir de l'avoir comme cicerone. Il est aussi très concerné par la question juive (voir
Rachel et les siens). Il mélange avec bonheur ces deux sujets.
Mais un bon sujet fait-il un personnage sympathique ? Il y a comme quelque chose d'inabouti chez Elie (et dans le roman). Il est trop cérébral, dépourvu d'émotion. La fin est très vite bâclée, en rupture avec ce que l'on connaissait du personnage. Mais le connaissait- on ?