Le dernier des Camondo

Finalement, ce qui importe, ce n'est pas ce qui s'est passé, mais le souvenir qu'on en garde. La vérité des Camondo se trouve enfouie dans la poussière des siècles.

Il faut refuser tout aux Juifs comme Nation, et accorder tout aux Juifs comme individus…Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique, ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens.

Israélites et aristocrates avaient en commun un esprit de clan sinon de caste, une familiarité avec le passé, l'obsession de la mémoire, le sentiment de la différence dans la supériorité. Tourmentés par le devoir de transmission, ils se sentaient responsables de leurs ancêtres. Ils partageaint le même culte des traditions, et un refus de laisser leur identité se diluer. Une telle attitude les isolait pareillement des valeurs montantes de la bourgeoisie. Moïse de Camondo aurait très bien pu faire sienne la devise de la maison d'Orange: "Je maintiendrai." p. 201

C'est bien connu, l'objet de notre passion nous rehausse. La collection est en toutes choses le reflet de son auteur. p32 en Folio

Pour un peuple obsédé par sa mémoire, la nuit des temps est un cauchemar récent. Dans cet univers-là, n'avoir pas de nom, ne pas laisser de traces, ne rien savoir de ses aïeux est une malédiction.

En ces jours de 1914, Moïse est entre deux eaux, à la frontiére du monde d'avant, à la veille de basculer dans le siécle à venir. Des trônes vont vaciller, des empires disparaître, des lignées s'éteindre. A-t-il seulement l'intuition que ce qui s'annonce marquera aussi la fin de sa propre dynastie ?

Quand on lui demandait si elle se convertirait, une Geneviève Strauss avait assez d'esprit et de caractère pour répondre :
" J'ai trop peu de religion pour en changer!"
Mais combien d'autres étaient à se christianiser dans le fol espoir de se franciser?

La perte qu'ils venaient d'éprouver les rapprochait dans le doute. Il leur fallait affronter le plus juif des paradoxes: comment le peuple du souvenir peut-il à ce point n'avoir pas conscience de l'histoire ?

Il en fallait plus pour renverser la tendance. L'air du temps était de plus en plus vicié. On avait l'insulte facile, les duels se multipliaient et ce n'était pas toujours pour défendre l'honneur d'une dame.
Le succès d'Edouard Drumont semblait avoir une voie. Il avait libéré le langage. Le racisme avait droit de cité, jouant sur tous les registres, de l'ironie à la haine.

Le pamphlétaire était doté d'un incontestable talent de plume. On n'en dirait pas autant de sa capacité d'analyse. A ce jeu de massacre, il importait avant tout de dénoncer nommément le maximum de gens. Ses affirmations les plus péremptoires ne résistaient pas à l'épreuve des faits. Mais l'opinion avait plus besoin de vraisemblable que de vrai. Dans sa recherche des coupables, elle ne s'embarrassait guère de nuances. Ce délirant bottin allait durablement servir de bréviaire à plus d'un Français.