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Critique de Herve-Lionel




N°237
Mars 2002


SIMENON Pierre ASSOULINE- – Éditions JULLIARD.


S'il est un romancier qui a traversé le siècle avec son public, c'est bien Georges Simenon (1903-1989).
S'il est un personnage qui colle à son « géniteur littéraire » au point qu'on ne cite jamais l'un sans l'autre, qu'on ne pense jamais à l'un sans songer à l'autre, c'est bien le commissaire Maigret et beaucoup d'acteurs ont prêté et prêtent encore leur visage au célèbre policier. Jamais sans doute, il n'y eut tant d'osmose entre le créateur et sa « créature », jamais sans doute, à tout le moins au XX° siècle, un auteur ne fut aussi prolixe, connu et désireux de l'être, populaire peut-être ?

Pierre Assouline, dont on peut rappeler qu'il aime à dire qu'il est journaliste (c'est à dire selon ses propres termes «  ni écrivain, ni historien ») pratique en quelque sorte le même métier que celui de Simenon au début de sa vie.
Si l'auteur de cette imposante étude rappelle qu'il a commencé cet ouvrage du vivant du père de Maigret, celui-ci n'eut pas le temps d'en lire le résultat, la mort l'ayant emporté avant sa publication. Pourtant, c'est une oeuvre fidèle et libre qui a l'avantage de démystifier le personnage qu'on avait bien vite figé dans un stéréotype que Simenon lui-même, de son vivant avait créé et entretenu.

Pour ce qui concerne l'ouvrage proprement dit de Pierre Assouline, il est celui d'un archiviste patient, rigoureux, exigeant avec lui-même, honnête aussi. Il fallait sans doute être tout cela et bien plus encore pour démêler l'écheveau compliqué de la vie de Georges Simenon, analyser les faits, les synthétiser pour que le lecteur s'y retrouve et éprouve du plaisir à découvrir sous le masque, l'homme tel qu'en lui-même, celui qu'il a véritablement été ! Alors Pierre Assouline ne serait ni un historien ni un écrivain ? Voire ! N'ai-je pas lu qu'il s'était lui-même astreint à la même discipline que Simenon, avait adopté sa règle et sa discrétion devant l'écriture ? Peut-être est-il parvenu à penser comme lui face aux personnages dans la peau desquels il a peut-être inconsciemment fini par se couler ?

Pourtant c'était sans doute une gageure que de se livrer à ce travail tant l'homme s'était lui-même entouré de mystères, de légendes parfois, sans doute pour mieux se protéger lui-même ?Comment en effet, pour un écrivain mieux se cacher que derrière ses propres mots, ses propres écrits? Près de 400 romans(pas tous des policiers !), des articles, des nouvelles, une image imposée, celle de l'homme au chapeau et surtout à la pipe, des pseudonymes… Il avait tissé lui-même le secret qui l'entourait de son vivant même et semblait s'y complaire.
Pourtant, ce ne fut pas facile pour lui, une enfance difficile, coincée entre un père humble et soumis à une épouse anxieuse et qui préférait son frère mort trop tôt à cause de choix politiques contestables.

Écrire était bien toute sa vie puisqu'il commença à 16 ans comme reporter à « La Gazette de Liège », mais ses écrits d'alors, peut-être qualifiés de jeunesse et teintés d'antisémitisme ne font sans doute que refléter l'ambiance de son temps !

Il finit même par s'installer en France qui est, à ce qu'on dit, (mais est-ce bien vrai ?) la patrie des écrivains. A cette époque il est prolixe au point d'être surnommé «  le Citroën de la littérature » puisqu'il s'était lui-même mis en situation d'être un écrivain dont la production le disputait à la rapidité d'exécution.

C'est que l'homme est trouble et entretient aussi cette image floue. Il se fourvoie quelque peu, par journaux interposés dans l'affaire Stravinsky, pendant la deuxième guerre mondiale il a un peu trop tendance à flirter avec l'occupant allemand au point qu'il est préférable pour lui de fuir en Amérique du Nord. Il a d'ailleurs été plus ou moins en perpétuel déménagement comme pour fuir quelque chose ?…

Homme d'affaire avisé, il saura toujours préserver ses intérêts, s'intéressera à l'adaptation de ses oeuvres au cinéma, surtout aux hommes qui ont incarné le célèbre commissaire Maigret mais ne sera jamais autant rassuré qu'avec une épouse.
Il entretiendra des amitiés littéraires avec des gens de Lettres importants tels André Gide et Henry Miller. On en a même rajouté, ce qui n'était sans doute pas pour lui déplaire tant il était friand de se forger lui-même une légende de son vivant ! Mais pour longtemps il est resté(et reste peut-être encore), « L'homme à la cage de verre » et « L'homme aux dix mille femmes »
Pour la cage de verre où il était censé écrire un roman entier, en un temps record enfermé dans un réduit transparent de 6x6 en plein Paris sous les yeux des spectateurs!. Il a 24 ans. En fait l'affaire ne se fera pas, mais la légende a la vie dure !
Quant aux femmes, c'est autre chose. La fréquentation des bordels est très tôt pour lui une réalité et même un besoin pour cet homme à la sexualité débordante, mais ce ne seront là que des amours vénales. Pour les autres, il eut certes des maîtresses, malgré ses épouses, mais il y avait là sans doute beaucoup d'exagération et il ne fut pas le Don Juan dont on a tant parlé ! Certes il affectionnait le luxe, les palaces, les belles voitures mais cultivera toujours, jusque dans ses écrits sont côté populaire, celui qui aime la bière dans les bistros d'un port !
Le fait est cependant établi qu'il ne pouvait supporter la solitude. C'est là la véritable réalité qui le lie aux femmes. Elles furent ses managers, ses secrétaires, parfois aussi ses tortionnaires par procès et divorce interposés. Pourtant s'il est une femme qui a compter dans sa vie c'est moins sa mère et ses épouse que sa fille, Marie-Joe, à ce point admirative de son père et liée à lui qu'elle se suicidera. Ce suicide, avec toute la culpabilité qu'il entraîne pour Simenon le laissera désemparé, seul, tourmenté, plus obsédé que jamais par la propreté, la vie réglée comme une succession de rites, jusqu'à sa propre mort.
L'inspiration l'ayant abandonné, la vieillesse l'ayant gagné, il pouvait mourir même s'il lui collait à la peau l'image dont il aurait sans doute bien voulu se défaire de « L'homme qui a tué sa fille » !

Le grand mérite de Pierre Assouline, outre l'honnêteté de l'écrivain qu'il est (ne lui en déplaise !) et son humilité devant l'écriture, est de nous avoir montré dans ce portrait magistral de Simenon, l'homme à travers l'écrivain, de l‘avoir livré dans sa réalité, avec ses contradictions, ses espoirs parfois un peu fous, ses échecs, ses phobies ses qualités aussi. Il a démystifié le personnage et ce n'est pas la moindre des qualités de ce livre, tant Simenon avait, de son vivant même voulu tisser sa propre légende.

Il a tenu en haleine son lecteur attentif et passionné pendant ces 650 pages d'une enquête que n'eut pas refusé le commissaire Maigret !


© Hervé GAUTIER.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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