Des formes utiles

Sur les pages de gauche de ce recueil, des cercles dans lesquels flottent de minces traits noirs, des formes se détachant d'un fond gris qui laissent la lectrice que je suis perplexe.
Serait-ce des spermatozoïdes sous la lorgnette d'un microscope? Rien n'est sûr.
Sur les pages de gauche donc, des formes inutiles puisqu'il est impossible d'y donner du sens ou si peu.

Sur les pages de droite, d'autres traits noirs s'alignent, prennent la forme de lettres, qui se juxtaposant prennent la consistance de mots. Des formes utiles, cette fois, puisqu'elles nous permettent de donner et de trouver du sens.

Cette mise en page originale est en quelque sorte une métaphore des propos de Martine Audet qui nous invite à explorer avec elle l'importance du langage, l'importance des mots qui nous permettent de passer d'impressions diffuses, de la pré-vie des spermatozoïdes à une réelle existence ou du moins- restons prudente - à une existence car les mots ne sont pas nécessairement la réalité. Les mots ne sont pas nécessairement la vérité nous dit par ailleurs l'auteure :

« Je suis connue pour mentir
à ma peine.
D'ailleurs,
je suis tout habillée de noms. »

Les mots nous permettent bien sûr de circonscrire notre expérience, de la nommer, de nous nommer, de la partager.

« C est ainsi que les peines
ont d'autres yeux
de peine. »

Les mots c'est aussi l'outil qui peut faire de la place à ce qui n'est pas là ou ce qui n'est plus là.

Les mots

« le théâtre de ce qui me manque?
Ce qui de la disparition,
fait miroir?"

Mais les mots sont encore bien plus que cela car ils permettent à notre imagination de créer, de combler, de réparer. de faire de la place à ce qui n'est pas là et dont nous avons tant besoin.

« Je donnais aux mots la puissance d'être
avant d'être,
de croire
avant d'y croire. »

Nous prenons conscience que les mots, grâce à leur fenêtre sur l'imaginaire, peuvent être le creuset de notre résilience, qu'ils le sont ou l'ont été pour Martine Audet et au fil de la musique de ses phrases, au fil de ses images nous recevons toute la force et la détermination de l'auteure.

Les mots, que Martine Audet nous présente à la fois, soif et remède.

Écriture envoutante de Martine Audet.
À lire. À relire.

Dans ce recueil, l'auteure explore les formes et les traces, laissées sur le corps ou celles évanescentes de la danse, des oiseaux…
Des dessins accompagnent le texte, sortes de formes vues sous microscope ou simplement variations de formes (utiles ?)…
Le recueil est dans don't partie, la seconde sous forme d'hommage à la danseuse Louise Lecavalier et à la poète Nicole Brossard.