Dans le troisième chapitre il tombe sur une phrase qui lui dit enfin quelque chose : "Les livres doivent être lus avec autant de considération et de réserve qu'on a mis à les écrire". Alors soudain, il comprend que le secret c'est d'aller lentement, plus lentement qu'il ne l'a jamais fait jusqu'àlors quand il s'agit de mots.
Il n'a pas l'habitude de rester comme ça sans rien faire, et tandis que l'obscurité l'enveloppe, l'énervement le gagne. Ce qu'il aime, c'est s'activer, aller d'un endroit à un autre, réaliser des choses. Je ne suis pas le genre Scherlock Holmes, avait-il coutume de dire à Brun chaque fois que le patron lui confiait une tâche particulièrement sédentaire.
Je suis chargé de surveiller quelqu'un - pour autant que je puisse en juger il ne s'agit de personne de bien particulier -, et d'envoyer un rapport chaque semaine. C'est tout. Surveiller ce mec et écrire ce que je constate. Rien de plus.
Qu'est-ce que ça a de si dur ?
Mais c'est qu'il ne fait rien. il est là assis dans sa pièce toute la journée et il écrit. Ça suffirait à vous rendre fou.
Pour la première fois de sa vie, il se trouvait ramené à lui-même, sans quoi il puisse se raccrocher [...] il n'a jamais beaucoup réfléchi à son monde intérieur.
Il se sent comme un homme condamné à rester assis dans une pièce et à lire le même livre pour le restant de ses jours.
Les chances perdues font autant partie de la vie que les chances saisies, et une histoire ne peut s’attarder sur ce qui aurait pu avoir lieu.
Ainsi va le monde : on avance pas à pas, d'abord un mot, puis le suivant. Il y a un certain nombre de chose que Bleu ne peut en aucun cas connaitre à ce stade. Car la connaissance s'acquiert lentement, et lorsqu'elle vient elle se paie souvent d'un prix personnel élevé.
Il découvre que les mots ne fonctionnent pas forcément, qu'il leur est possible d'obscurcir les choses qu'ils essayent de rendre.
L'écriture est une occupation solitaire qui accapare votre vie. Dans un certain sens, un écrivain n'a pas de vie propre. Même lorsqu'il est là, il n'est pas vraiment là.
C'est ce que les anciens appelaient le destin et tout héros doit s'y soumettre. On n'a pas le choix et s'il y a une chose à faire c'est uniquement celle qui ne donne pas le choix. Bleu renâcle à l'admettre : il lutte, il refuse, son cœur se soulève. Mais c'est seulement parce qu'il sait déjà tout, et que combattre ce savoir revient à l'avoir déjà accepté, que vouloir dire non c'est déjà dire oui. Bleu en arrive ainsi à décrire graduellement un cercle complet et finit par céder à la nécessité de ce qui doit s'accomplir. Ce qui ne signifie nullement qu'il n'ait pas peur. Dès lors, en effet, il n'y a qu'un mot pour rendre compte de Bleu, et ce mot est celui de peur.