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Critique de Lamifranz


L'histoire, dit-on, est faite par ceux qui la font (pardon, par ceux et celles qui la font), nous sommes bien d'accord. Mais ceux et celles qui la racontent, c'est une autre histoire, je dirais même plus, c'est une « autre » histoire, c'est une vérité recomposée. Tous les historiens et romanciers vous le diront (je le suppose n'en connaissant pas personnellement) : si on a devant soi sur la table, les faits, avec toutes les preuves, en revanche les causes, les effets, les motivations, tout ce qui n'est pas matériellement prouvé, reste du domaine de l'interprétation. La logique bien sûr permet de combler quelques trous, mais tout le reste peut être soumis à discussion, voire à polémique. Et quand on touche à des sujets sensibles – en gros ceux qui nous touchent personnellement) – je vous raconte pas (comme dit mon fils qui met des négations partout, sauf dans sa façon de parler).
« Uranus », publié en 1948, est pour Marcel Aymé un certain coup de culot, d'audace et certainement de courage. A cette époque les esprits étaient échauffés, et les têtes près du bonnet (surtout certaines femmes qui avaient payé de leur chevelure le trop plein de courage de certains de leurs concitoyens). le roman évoque clairement la période de l'Occupation et de la Résistance, que nous connaissons en long en large et en travers, et celle de l'épuration, plus discrètement évoquée dans nos manuels scolaires. Il ne s'agit pas ici de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, encore moins de juger et condamner. La chose certaine c'est qu'il y a eu globalement un combat entre la barbarie et la civilisation, mais le problème c'est que les combattants étaient des êtres humains, donc tour à tour barbares et civilisés, suivant qu'ils étaient guidés par leur esprit, leur coeur ou leur âme, ou bien leur portefeuille, ou encore autre chose encore plus bas… Marcel Aymé, on le connait : il ne fait pas dans la dentelle. Vous vous souvenez de Jean Dutourd et de « Au bon beurre » ? Côté causticité, c'était déjà du costaud. Marcel Aymé, c'est pareil, il va peut-être même plus loin dans la dénonciation de la veulerie, de la malveillance, de la délation, du manque de scrupule, de l'opportunisme…
Nous sommes à Blémont, un patelin qui pourrait être n'importe où, y compris chez vous ou chez moi. Léopold est cafetier. Mais pas n'importe quel cafetier. C'est un cafetier, sans doute un peu alcoolique et un peu brut de pomme, mais il est du style du cuisinier Ragueneau dans « Cyrano » : il a des prétentions littéraires, et une prédilection pour Racine, en particulier « Andromaque ». Aussi quand, à la suite de bombardements, son café (le « Café du Progrès ») devient l'école du village, il est aux anges. Entre les cours de français où il se délecte et les conversations de comptoir où il tient sa place, il ne s'ennuie pas. C'est que la clientèle, c'est du premier choix : des néo-résistants de la dernière heure, des trafiquants de marché noir, des militants communistes, socialistes, tout ce que vous voudrez, des nostalgiques du Maréchal, etc. etc. de calomnies en délation, les ignominies qui avaient cours sous l'Occupation se perpétuent, elles changent seulement de camp, et pas toujours.
Et tout ça sous l'oeil de Marcel Aymé. En fait c'est lui le seul personnage positif de cette histoire : son regard à la fois malin et cinglant, d'une terrible lucidité, est impitoyable. Pourtant il n'accable pas ses personnages, il ne les défend pas non plus. Certains critiques ont cru voir dans ce roman une réhabilitation du maréchalisme, d'autres une dénonciation du gaullisme naissant sur les mythes de la Résistance, billevesées que tout cela : s'il y a dénonciation, c'est celle de la bêtise et de la bassesse humaines. « L'homme est une laide chenille pour celui qui l'étudie au microscope solaire » disait Alexandre Dumas dans « le Comte de Monte-Cristo ». Marcel Aymé ne disait pas autre chose :
« Je ne dis pas que vous soyez un hypocrite, mais il y a des époques où le meurtre devient un devoir, d'autres qui commandent l'hypocrisie. le monde est très bien fait. L'homme a en lui des dons qui ne risquent pas de se perdre. »
Je n'ai pas besoin de vous conseiller le magnifique film de Claude Berri (1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Philippe, Noiret et Michel Galabru (entre autres) ...

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