D, tome 3 : Monsieur Caulard

Tout ça a commencé à l’époque où les hommes ont eu l’idée de faire pousser des plantes et d’élever des animaux. Ils se sont mis à faire des choses étranges, comme couper trop d’arbres ou tuer des bêtes pour rien. Puis, pour se procurer du bétail ou du grain, ils ont fait de grands massacres parmi ceux de leur propre espèce. Ce sont des choses absurdes, contre nature. La Nature, malgré tout, a décidé de conserver l’homme en son sein. Mais parfois, un homme va trop loin. Et s’il le fait dans un lieu sacré, un lieu de grande harmonie, alors la Nature se fâche. Elle chasse cet homme-là. Elle lui refuse sa place dans le cycle de ce qui naît, croit et meurt. Elle en fait un fléau, avide, jamais rassasié. Un trop homme capable de détruire l’humanité. Elle en fait un non-mort.

[Dracula] Voici mon royaume ! J’y règne sur des légions d’ouvriers dont je tire ma subsistance. Je les mène durement mais j’en prends le plus grand soin ! Je ne voudrais pas qu’ils aillent raconter, avec le langage imagé dont use la canaille socialiste, que je suis un de ses patrons avides qui sucent le sang du prolétariat.

Ce planteur de Louisiane avait su percevoir dans l’expédition de Crimée le formidable potentiel des conflits d’aujourd’hui. Mû par une géniale intuition, il vendit terres et esclaves pour fonder dans le Michigan sa première aciérie. Lorsqu’éclata la guerre civile américaine, il avait déjà créé les usines d’armements qu’alimenteraient ses hauts-fourneaux ! A la tête de plus de trente usines établies sur deux continents, Caulard trône à présent, tel un dragon sur une montagne d’or !

[Lady D’Angerès] Un industriel !... Déroger ainsi, vous jadis si fier de votre rang !
[Dracula] Vous vous trompez quant à notre nature profonde, ma chère ! Nous ne sommes pas aristocrates par essence : notre place est au sommet de la hiérarchie humaine quelle que soit la caste qui l’occupe ! Le siècle est bourgeois ? Soyons bourgeois. On se fait à leur prosaïsme et l’on gagne en efficacité !

[Lady D’Angerès] Dieu que ce siècle est laid. Tandis que je mâchais mon suaire dans les ténèbres, en haut les hommes changeaient d’âge… Au sortir de mon tombeau, le monde avait perdu sa grâce. Je peine à me le remémorer tel qu’il était sans tout ce fer, sans tout ce bruit… Et j’oublie chaque jour un peu plus ce qu’il fut longtemps avant, lorsque j’avais un toit, des proches, de sentiments; Ce qu’il fut de mon vivant…

- Vous êtes devenu l’un d’entre eux, n’est-ce pas ?
- Peu de membres, un droit d’entrée exorbitant… Un tel club était pour moi.

- Qu’es-tu venu faire si loin de chez toi ? demande l’ermite
- Je cherchais la source d’un grand fleuve.
- Tu ne la cherches plus ?
- Non. J’ai compris que la source n’était qu’un prétexte pour partir et me perdre. Ici, parmi les tiens, je me suis retrouvé.

C’est une sorte de malédiction… Un mal sans rémission que m’ont légué les buveurs de sang… De minuscules buveurs de sang ! D’après les récents travaux, de Manson et Finlay, la malaria serait transmise par les moustiques…

Dans ton empire de non-vivants, on doit avoir d’étranges occupations ! La tienne, c’est d’aller où personne n’est jamais allé à l’exception des gens qui vivent là, pour donner un nom à des lieux qui en ont déjà un ! Tu serais un fou presque drôle si tu n’étais pas celui qui ouvre la voie ! Mais ton empire marche derrière toi. Il se nourrit des peuples que tu nommes, comme on boit le sang du bétail.

Ce « torche-cul », Mister Drake, possède de nombreuses vertus. Certes, il flatte les bas instincts de la populace. Mais il la captive et ce faisant, la détourne de lectures plus… corrosives, alliant ainsi rentabilité et paradoxalement hygiène morale.