Dans les geôles de Sibérie

La pire épreuve consistait pour eux à se trouver désœuvrés, face à eux-mêmes. Ce sentiment m’est étranger. La solitude est un bienfait dès lors que l’on dispose de livres, de papier et d’un crayon.

Je ne suis plus exactement dans les geôles de Sibérie au moment où j’écris ces lignes, et pourtant j’y suis. Je n’en sortirai que lorsque le dernier mot aura été posé, extrait de ma peau et tracé enfin sur la dernière page.
Ne pas rire, ne pas pleurer, ni haïr mais comprendre.

J’aime ce proverbe russe qui contient l’optimisme de tout un peuple:
« Le diable n’est pas aussi terrible qu’on le dépeint « 

Quand les gueux sont à ce point gueux, et les nababs à ce point nababs, ils ne parlent pas la même langue, n’habitent pas le même monde, n’appartiennent pas à la même humanité. Gricha s’est égosillé furieusement : « Putain de dégueulis, et on s’étonne après que tous ces couillonnés transpirants crèvent d’alcool à quarante piges ! On s’étonne qu’ils finissent en taule les mecs ! On s’étonne qu’ils finissent par lapider l’un des leurs ! Putain !

Il m’inspire l’amitié, comme tout ce qui est orphelin. Ces deux billes noires enfoncées dans un visage vérolé ne sont pas menaçantes. Elles sont contristées. Elles savent le chemin de douleur qui arrive. Vanka parle peu. Comme tous, il est songeur, il fait ses calculs en prévision de la note qu’il paye déjà. Il s’adresse à moi comme par habitude. Fraterniser en quarantaine ne prend pas plus de deux heures. Il me dit que le grand Koltchak a été enfermé dans cette prison, il y a bien longtemps, l’amiral Koltchak, le commandant suprême de la Garde blanche.

La Sibérie, c'est le grand large sur terre.

Dans les couloirs, j'ai croisé des têtes de suppliciés sortis de Carpeaux ou de Géricault, des créatures fantastiques signées Jérôme Bosch, des gueules d'habitués de la torgnole, des gueules qui disaient que la vie, la leur, n'était qu'une torgnole sempiternelle ; j'ai observé des masses musculeuses lourdes, de visqueux minotaures, rarement des statues grecques, plutôt des visages jaunâtres, décharnés et sans âge ; (…) ; je débusquai des maniaques, des cloches fêlées, des yeux hagards, des yeux de fouine à l'affût, et les miens pour finir dans le reflet d'une vitre, deux billes égarées et cernées de noir, sur une figure mangée de barbe qui variait du bistre à l'olivâtre.

Vladimir P. est élu au premier tour. Le Kremlin a trouvé son maître. Un nouveau millénaire commence. Le kompromat fabrique des présidents.

La morale des bandits organisés est une bigoterie aussi grotesque que la bigoterie d'église, de mosquée ou de synagogue. C'est le même sérieux dans l'absurde, la même violence infligée aux "impurs" déclarés, la même occultation des femmes, le même monde du phallus-roi et la misère sexuelle qui l'accompagne.

La prison est un exercice spirituel et corporel. C’est une représentation, une ascèse, une lutte.