Je me dis qu'il ne fallait brusquer le destin, que c'était bien ainsi. Ce faisant, je compris que je commençais à adopter la philosophie d'Almah qui avait toujours considéré que les choses arrivaient quand elles le devaient.
Il y a quelque chose que je ne partagerais jamais avec mon mari, quelque chose qui m’appartenait et qu’il ne comprendrait jamais. Cet abîme en moi, cette double appartenance, cette douleur, cette cicatrice que je partageais avec Lizzie, avec Frizzie.
On ne recommence jamais sa vie, on la continue.
(p.186)
« Apprendre ce que sont nos absents qui nous constituent, qui font ce que nous sommes, autant que nos vivants »
Le bonheur il ne tombe pas du ciel,on le fabrique de ses mains
C'était la première fois qu'Almah se sentait prise au dépourvu. Cela ne lui ressemblait pas, elle qui avait toujours su se sortir de situations compliquées, elle qui n'avait jamais eu sa langue dans sa poche, elle qui trouvait toujours la réplique qui faisait mouche. Mais là, rien...
Cette fillette lui en rappelait étrangement une autre.
C'était une des mille choses que j'aimais chez lui. Domingo me comprenait à demi-mot et prenait toujours les décisions qui allaient dans mon sens sans que j'aie à les formuler.
Il y avait aussi toutes ces choses que j'étais fière de lui apprendre. Comme savourer le moment suspendu quand la nuit tombait silencieusement avant le début du concert nocturne, déchiffrer les chants de la nuit...
Ainsi donc, dans le climat de désordre, de désobéissance et de chaos qui régnait aux Etats-Unis, on avait réussi à faire taire la voix de la mauvaise conscience de l'Amérique. C'était un symbole que l'on venait d'abattre et j'étais convaincue que le pasteur serait bientôt un mythe...
Je me doutais que la philosophie de Luther King triompherait, mais le chemin, je le savais, serait long et tortueux.
Et, ente nous, comme le jour du carnaval, il y avait le désir. Le désir que nous avions l’un de l’autre. Le désir omniprésent dans chaque regard, chaque geste, chaque parole. Le désir comme une brûlure. Le désir qui courait sous nos peaux comme le sang dans nos veines. Le désir auquel nous savions que nous céderions. Mais pas tout de suite.
Tu as déjà vu le rayon vert, quand le soleil plonge dans la mer pour rejoindre l'autre côté de la terre ? On dit que c'est un instant parfait. Quand on l'à connu, on s'en souvient toute sa vie.
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