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Critique de Michel69004


Alors il faut vraiment s'accrocher au pinceau.

Personne ne déteste Aurélien Barreau. Lorsqu'on l'évoque, le plus souvent les gens réagissent par un "Je l'aime bien" qui fait référence à son look et à sa posture cool. J'ai suivi (enfin, façon de parler) quelques conférences d'astrophysique postées sur You-tube par celui qui intervient à l'université de Grenoble. Des conférences genre "pour débutant", sur les particules élémentaires je crois. Mais très vite, j'ai décroché. le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai trouvé cela ardu et pourtant j'avais quelques bases…

Le livre, je préfère le dire tout de suite, est à l'avenant. Mais, si on le décode un peu et qu'on va à l'essentiel, il nous délivre un message…révolutionnaire !

"Michel-Ange exténué, j'ai taillé dans la vie
Mais la beauté, Seigneur, toujours je l'ai servie."
Jean-Genet nous met d'emblée au parfum .

Aurélien Barreau grâce à une exergue et une introduction nous prie de bien vouloir l'excuser par avance : il ne cherche d'aucune manière à donner des leçons et encore moins à cracher dans la soupe. Penser, c'est toujours contre soi. Voilà qui est clair.

Puis très vite, il fait un certain nombre de constats dont tout le reste va découler.
Nous vivons une catastrophe civilisationnelle, un effondrement de la vie et une perte de sens. le premier étant, en partie, une conséquence de la seconde.
Ce petit essai ne propose donc, selon lui, qu'un "renouveau poétique et ontologique". Soit une redéfinition du réel. En porosité à l'inouï. En invite à l'extraire…

Le premier chapitre s'intitule : "Bien sûr, bien sûr…"
Il rappelle l'évidence de l'anéantissement biologique global, de l'avénement de la sixième extinction de masse : un tiers des insectes, des mammifères sauvages et des arbres ont disparus. Aucun retour en arrière n'est possible. Il ne s'agit pas seulement du réchauffement climatique mais aussi de la pollution, des forêts rasées ou brûlées , d'un taux d'extinction des espèces sans doute plus de mille fois supérieur à la normale, de millions de tonnes de déchets produits chaque jour.
L'eau de pluie est impropre à la consommation et toute l'Europe est contaminée aux "polluants éternels". Les centaines de milliers de réfugiés climatiques attendus ne sont guère compatibles avec un monde sans guerre ni génocide ou dictatures.
Le cas de l'effondrement de la vie sur terre est aussi incontestable que…la rotondité de la planète. Et la célérité de cette extinction dépasse nos pires anticipations .
À partir de ce constat sans appel, Aurélien identifie les responsables : les techno-sciences au service du productivisme, nous propose de changer radicalement d'ontologie et nous fait quelques propositions. C'est donc l'objet des chapitres suivants.
"Et pourtant"
Ce chapitre est important car il fonde le principe de décroissance porté par AR
La science a fait beaucoup plus de mal que de bien. Je cite :
"La science est souveraine en sa capacité à remanier ses propres construits, mais elle est absolument étrangère à toute revisitation substantielle de la méta-architecture"
Suit un réquisitoire implacable sur les méfaits de toutes les technologies qui ont provoqué un extraordinaire effondrement de notre "puissance d'être", une véritable réification consentie. Je cite à nouveau:
"Lire un texte écrit par une intelligence artificielle revient à faire l'amour avec une poupée gonflable"
La référence au réel s'est perdue dans une double déréférentialisation (perte du lien au monde et à l'auteur). Nous effaçons toute altérité. Il faut "convoquer ce carcan axiologique et ontologique".
Tout, ou à peu prés est à figer, pour arrêter la destruction systématique du vivant. AB ne veut pas d'une société technocratique sans visée et sans désir, sans intention et sans projet, vouée à peaufiner les fonctions qui ignorent leurs raisons.

"L'évident"
C'est le chapitre le plus rigolo du livre puisqu'il s'adresse surtout aux chercheurs.
Plus de viande à la cantine, rénovation énergétique des locaux, arrêter les colloques à l'étranger, arrêter de publier pour publier, se débarrasser du fantasme théandrique, ne plus admirer les spationautes, esquiver Twitter et Rihanna(!), faire une césure dans l'élan extracteur et arrêter de se voiler la face: la recherche n'est pas un geste irréfragalement bienfaisant: regardez le coût du futur méga-accélateur de particules qui ne servira pas à grand chose !
"La science peut bien éclairer le monde mais elle laisse la nuit dans les coeurs" proposait Durkheim cité par AB

Pour ne pas alourdir cette chronique, je vais rassembler les chapitres suivants ."L'important", "L'exemple", L'hypothèse K" se confondent facilement :
La science est un outil redoutable au service des puissantes dominantes, elle est investit d'un caractère religieux mais c'est une trans immanence échouée.
Il faut donc TRAHIRE, trahir l'origine, l'attendu, l'inertie, l'identique des thèmes institués pour réhabiliter une dynamique de l'errance.
Il s'agit de poétiser la science pour la refonder, déplacer nos expectatives, apprendre à aimer l'onto-poéto-logie oubliée ou effacée.
AB convoque Baptiste Morizot pour prouver qu'une science peut exister qui saurait subvertir les réponses en promesses hétèrotopiques, les accueillir en surprises uchroniques…
Il convoque aussi Freud, Valéry, Bergson, Anders, Deleuze, Wittgenstein, Bruno Latour et Jacques Ellul. Il s'agit de militer pour une science oblique, irrévérencieuse et incongrue, qui risque l'inconnue, polysémiquement juste.
Une science nomade, touareg ou tzigane, un espace ensemencé d'étonnement.
"Hanter poétiquement la science pour libérer son extraordinaire puissance d'insoumission"
Et de réhabiliter Alexander Grothendiek dans son ascèse de roi tragique des mathématiques.

Alors, alors pourquoi Hypothèse K.
K c'est le cancer, la science étant aujourd'hui ontologiquement métastatique.
K c'est Kafka
L'Hypothése K c'est "la prolifération technométastatique du cancer numéromachinique porté par un hôte-humain hébété et engourdi mais déjà symptomatique"

Il faut donc habiter poétiquement le monde. Concrètement, que cela signifie-t-il ?
AB est formel : "Rien, parce que précisément ça n'ambitionne rien "

Voilà, voilà, je vous avais un peu prévenu et j'ai beaucoup traduit, en tout cas, je l'espère.


Aurélien Barreau, aussi compliqué soit-il à lire, est absolument incontournable car il nous annonce "une expectative assumée d'une révolution du sens, d'une révolution du signe ."

Arrêtons-nous de consommer, de produire ! Faisons tous ensemble un grand Haïku à la gloire de la décroissance et à l'avenir de nos petits-enfants !! Ré-écoutons le chant des oiseaux, marchons pied-nu dans l'herbe.
Rêvons avant qu'il ne soit trop tard.
Rêvons, les ami(e)s.
Rêvons...


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