"Depuis ce jour dans le désert, je ne sais qu'une chose. Peu importe la vie des hommes, puisque la mort ne se combat pas."
"[...] l'oubli est diabolique ; le souvenir est diabolique. Il faudrait ne pas aimer, disait-elle. Et ne pas avoir vécu. Alors ceux qui ont peur, qu'ils s'écartent..."
La preuve, c'est moi. Elle n'ira plus très loin. Je voudrais dire encore que je suis fier, je voudrais crier vive la France. Or je ne peux plus. Ma langue est paralysée. Je respire encore, mais pour combien de temps ? Bientôt je serai sifflement, poussière, vent de sable, lumière transparente dans un corps qui n'est plus.
Les hommes cherchaient mon regard: c'est ça, être un chef: être sans regard; ou montrer des yeux si vides qu'ils en paraissent décidés.
Il n'y a pas de chefs : il n'y a que des petits garçons. Donnez-leur un uniforme et un poignard. On dirait qu'ils sont à la tête de leur vie. Voilà ce que nous étions, alors, mes hommes et moi : des petits garçons à la tête de leur vie.
Mais j'ajoute ceci : la possibilité de percer le coeur d'un homme ne fait pas un homme.
Moi, je n'ai plus peur. Je suis après. Je ne suis plus là.
On n'a menti. On nous a menti. On a été poussés, bien sûr. Forcés. On a menti aux ouvriers, aussi. A ces pauvres habitants du désert. Certains se sont installés non loin, des années plus tard.
Eux n'ont pas vu l'éclair mais la maladie. Les tôles de certains blockhaus ont été utilisées, volées, vendues dit-on, mais par qui, et où, et pourquoi à ces Touaregs qui en ont fait des toits? Drôles de maisons de mortier et d'aluminium. Mais rien ne passe: la bombe a frappé, elle frappe.
Ce qui a eu ce jour d'avril n' a pas de nom. Peut-être ai-je simplement vu ce qui ne peut pas être vu. : l'homme vidé par sa bombe.
Pour moi, la faucheuse avance et essaye sa lame. Bientôt, je n'écrirai plus.
J'ai approché l'instant qui n'est plus la vie et pas tout à fait la mort. Il y a un terme géographique et militaire : le point zéro.