Je recommande ce livre aux parents d'ados en rébellion contre leur autorité, leur fonctionnement. Finalement votre ado est un adulte sain en devenir, et prompt à se poser des questions, animé par l'envie de trouver son propre chemin, ce qui est plutôt bon signe pour lui.
Il n'y a qu'à voir Farah, dans ce livre. Elle grandit à Liberty House, une communauté d'éclopés aux airs de Cour des Miracles, menée par le charismatique Arcady, dont la seule injonction est l'amour. S'aimer quel que soit son aspect et répandre cet amour sans limites aux autres membres de la communauté. Une sorte d'Eden du jouir, décrit sans une once de pudeur. Et malgré ce terreau de libertés, et de bienveillance, viendra pour Farah l'ère de la recherche des limites, et de la remise en question des valeurs transmises.
Mais d'abord, dans un écrin de verdure fiché sur une colline, nous faisons l'expérience d'un mode de vie dénué de ce que certains désignent comme les tares modernes de la civilisation : l'internet, la souffrance animale, la religion monothéiste, l'individualisme, la monogamie... Nous faisons connaissance de tous les habitants de la maison, jeunes et vieux, obèse, dépressifs, handicapés, coulant des jours sereins sous la houlette de leur « directeur de conscience » :
« Dans un monde où les gens n'ont ni gouvernail ni grappin, n'importe qui peut s'improviser capitaine et traîner tous les coeurs derrière lui » (p400).
Une belle vie de grande « famille recomposée » en autarcie joyeuse et décomplexée avec sa propre morale, ses propres fonctionnements transmis par un être inspirant ? Un refuge inespéré pour inadaptés à notre société ? Oui. Où est le hic ? le message de l'autrice se situe-t-il simplement dans cette démonstration d'un autre mode de vie et de pensée possible? Ou est-ce pour mieux s'attaquer à ce que je suspecte d'abord être une secte, avec tout ce que ce mot comporte de négatif, ayant à sa tête un gourou fort talentueux pour manipuler ses ouailles ? Je me pose la question une bonne première partie du livre, me demandant à quel moment l'intrigue va se jouer, à quel moment le récit va se tordre. Un moment un peu trop attendu, mais qui fut à la hauteur.
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J'ai été conquise par mon hôte, la solaire Farah, qui s'exprime avec gouaille, sans filtre, et une sincérité authentique. Elle est amoureuse d'Arcady depuis son plus tendre âge et attend, non sans impatience, de partager les plaisirs charnels en sa compagnie, il lui a promis pour ses 15 ans, hors il se trouve que c'est justement pour bientôt… le corps de Farah est au centre du récit, et si comme je l'ai noté auparavant, il est question dans ce livre de questionner les stéréotypes sociétaux, il est aussi question de stéréotypes de genre et d'identité. En effet, Farah se décrit physiquement, ce qui n'est pas si simple à se figurer je vous l'accorde, quelque part entre
Sylvester Stallone et Kirsten Stewart. Elle va, aidée de toutes les armes acquises lors de son enfance, tâcher de ne pas se percevoir uniquement au travers du syndrôme de Rokitanski qui caractérise son physique et son anatomie, cette mitoyenneté au genre à la fois mâle et femelle, sans réelle appartenance à l'un ou à l'autre.
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J'avais déjà été touchée par Ruby, l'ado de Eden écrit par la même autrice.
Emmanuelle Bayamack-Tam, alias
Rebecca Lighieri semble avoir décidément un lien privilégié avec cette période charnière de l'adolescence. Une période de questionnements, de chamboulements et de désordres, de vitalité, qu'illustre à merveille sa plume incisive et lumineuse, qui mêle d'une façon remarquable vocabulaire argotique et recherché, passages crus et sensibles.
Une période d'espoir prompte à initier un monde meilleur, à moins que sa voix ne soit finalement étouffée et broyée par le système en place.