Son terrain d'action est impressionnant: trente-trois romans, cinquante-six nouvelles, une pièce de théâtre le montrent en train d'élucider autant de meurtres, et toujours - il s'en vante - grâce au travail de réflexion intense qu'il mène sur les éléments qu'il a collationnés lors de nombreux interrogatoires. Ces indices sont autant de pièces d'un puzzle qu'il doit assembler pour comprendre ce qui s'est passé. Quand enfin il estime les avoir réunies, il se retire pour réfléchir, les trie avec méthode, les combine... Soudain, tout devient logique, les faits s'emboîtent comme les pièces d'un puzzle: la vérité éclate au grand jour. Le détective peut alors convoquer les comparses du drame et démonter devant eux, avec une précision et une logique imparables, le processus qui l'a conduit à identifier le meurtrier. La méthode Poirot tiendra en haleine des millions de lecteurs.
Un soir de 1930, Agatha se rend à l'Escargot, dans Greek Street, un restaurant de cuisine française récemment ouvert dans le quartier de Soho. C'est là que le Détection Club procédé à l'intronisation de ses membres. Quelques mois auparavant, Dorothy Leigh Sayers et Antony Berkeley Cox, deux grands noms du roman d'intrigue, ont eu l'idée de réunir leurs pairs en une association prestigieuse où l'on veillera à la promotion de la littérature policière. Leur ambition est de codifier ce genre qui n'en est encore qu'à ses balbutiements : Sherlock Holmes, l'archétype du détective est né il y a moins de 50 ans !
La vie d'Agatha est-elle devenue ce long fleuve tranquille qu'elle décrit dans son autobiographie et dont ses proches perpétueront le récit ? Rien n'est moins sûr...
Elle est devenue ce personnage bien connu des golfeurs, une "veuve de golf", une femme délaissée par son mari au profit d'un sport addictif et chronophage.
Agatha estime que l'écriture d'une pièce de théâtre se doit d'être rapide, plus encore que celle d'un roman, afin d'en garantir la dynamique.
La romancière dramaturge (une combinaison alors peu fréquente, surtout pour une femme) est donc parfaitement consciente que, pièce après pièce, il lui faut conquérir les spectateurs : elle comparera les pièces de théâtre à des chevaux de race qui parfois étonnent, parfois déçoivent leurs propriétaires.
Tous les matins, un domestique apporte aux occupants de chaque tente un pichet d'eau chaude en même temps qu'une tasse de thé : Agatha déclarera avec humour à un journaliste que l'eau du Tigre est bien supérieure à celle de la Tamise pour préparer sa boisson favorite.
Elle rêve de ce moment impossible à fixer où ils se retrouveront.
Ses voisins - une majorité d'artistes et d'intellectuels - se souviendront que Mrs Mallowan (Agatha Christie) les fréquentait peu. L'un d'eux, l'architecte Stefan Buzas, se rappelera la femme qu'il croisait dans le couloir : "Une dame affable, bien en chair, et qui semblait plus susceptible de planter des roses que d'écrire des romans policiers".
Dès ce moment aussi, elle lui adresse "L'heure zéro", qui ne paraîtra qu'en 1944. C'est une belle illustration de la théorie énoncée dans le prologue et qui vaut pour nombre de ses romans : "Le meurtre n'est jamais que la fin. L'histoire débute bien avant ça - des années plus tôt parfois -, avec les mille et une causes de la longue suite d'événements qui font que les individus donnés sont présents un jour donné, à une heure donnée, dans un endroit donné. Tous ont convergé vers un point donné dans l'espace et le temps.