Il y a aussi les amies de Clara qui viennent prendre le thé. Agatha, en robe de mousseline empesée, descend pour dire bonjour, en fillette bien élevée, mais sans plaisir. Elle déteste les femmes qui minaudent et se précipitent sur elle pour l'embrasser...un supplice qu'elle s'efforcera de ne pas infliger aux enfants quand elle sera elle-même adulte !
Agatha prendra vite goût aux nuits dans un sac de couchage, même s'il lui faudra l'aide de son mari pour s'y glisser la première fois. Prévoyante, elle emporte toujours à l'étranger un bon oreiller, bien moelleux. "A mes yeux, cela fait toute la différence entre confort et supplice".
De nouveau, elle se prend à rêver : ne pourrait-elle vraiment pas devenir un jour chanteuse d'opéra ? Le verdict tombe de la bouche d'une amie américaine de passage qui a ses entrées au Metropolitan Opera de New York : sa voix n'est pas assez puissante pour l'opéra et ne le sera jamais. Je décidai donc de regarder la réalité en face et expliquai à ma mère qu'elle pouvait désormais faire l'économie des cours de chant. Je n'avais jamais vraiment cru que mon rêve puisse un jour se réaliser, mais c'est bien d'avoir eu un beau rêve du moment qu'on ne s'y accroche pas trop.
Jusqu'alors, les sentiments amoureux qu'elle a éprouvés relevaient de l'univers fantasmé que son imagination et ses lectures alimentaient.
Ses voisins - une majorité d'artistes et d'intellectuels - se souviendront que Mrs Mallowan (Agatha Christie) les fréquentait peu. L'un d'eux, l'architecte Stefan Buzas, se rappelera la femme qu'il croisait dans le couloir : "Une dame affable, bien en chair, et qui semblait plus susceptible de planter des roses que d'écrire des romans policiers".
Dès ce moment aussi, elle lui adresse "L'heure zéro", qui ne paraîtra qu'en 1944. C'est une belle illustration de la théorie énoncée dans le prologue et qui vaut pour nombre de ses romans : "Le meurtre n'est jamais que la fin. L'histoire débute bien avant ça - des années plus tôt parfois -, avec les mille et une causes de la longue suite d'événements qui font que les individus donnés sont présents un jour donné, à une heure donnée, dans un endroit donné. Tous ont convergé vers un point donné dans l'espace et le temps.
Les préparatifs s'achèvent bien sûr avec le casse-tête des valises, toujours trop pleines, essentiellement de livres : "Je suis appelé à la rescousse pour jouer les poids lourds et m'asseoir sur les valises rebondies de mon époux.".
Le roman n'est jamais la réalité, mais les deux se mêlent et parfois se confondent. Chez Agatha Christie, la frontière entre le réel et l'imaginaire n'est jamais totalement étanche.
Agatha estime que l'écriture d'une pièce de théâtre se doit d'être rapide, plus encore que celle d'un roman, afin d'en garantir la dynamique.
Elle rêve de ce moment impossible à fixer où ils se retrouveront.