AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de brumaire


Il est de bon ton pour certains esprits forts de se gausser des écrivains dits "régionalistes" . Tous ces Gilbert Bordes, ces Claude Michelet,ces Yves Viollier, ne parlons pas des Clavel ou Ragon, n'écriraient pas de "vrais" livres . Il ne serait de "vraie" littérature que confectionnée au plus près du 6e arrondissement parisien, et si possible formatée pour atteindre à l'universel ! Marseille, Bordeaux et Lyon pouvant, à la rigueur enfanter quelques passables écrivaillons. Alors , qu'en sus , le roman régionaliste aborde une thématique paysanne, et, cerise sur le Kouign-Amann , que son auteur soit catalogué comme catholique , c'est carrément la mise à l'index du Moônnde des Livres !
Nul doute que "La terre qui meurt" de René Bazin ne réunisse tous ces attributs. Faîtes l'expérience : annoncez à vos amis , " je suis en train de lire "La terre qui meurt" ! (je l'ai tentée avec trois ami (es) dont un est prof des écoles ) les réflexions les plus amènes pointeront le conservatisme de l'auteur (un catho angevin ! ) , insisteront sur : "plus personne lit ça" , remarqueront fielleusement : " ah la terre qui ne ment pas elle ! Pétain et le toutim..." .
Et pourtant ! et pourtant... N'écoutant que mon courage et ayant toujours aimé vivre dangereusement , j'ai quand même bravé les idées reçues et entamé la lecture de "La terre qui meurt" en ayant cependant pris soin de recouvrir le livre d'une jaquette d'un poche de Christine Angot ; il n'était pas question que dans le bus de Challans à Nantes je fusse démasqué et confronté honteusement à mon "passéïsme" . J'habite certes à sept kilomètres de Sallertaine, le village du Marais breton où Bazin situe l'action de son livre, mais que voulez-vous ? la Vendée a bien changé ! on donne même des concerts de rap à Sallertaine aujourd'hui ! Toussaint Lumineau, le vieux Lumineau de la ferme de la Fromentière doit se retourner dans sa tombe :-)
Ce livre à sa parution (1898) a pourtant eu un succès immédiat. Il s'ajustait au plus près des problématiques de l'époque. La France changeait. Nul mieux que le sociologue et historien américain, Eugen Weber, dans "La fin des terroirs" n'a décrit les bouleversements qui ont travaillé le pays à la jointure des deux siècles : exode rural, essor des chemins de fer et de l'industrie, délitement des liens familiaux, déchristianisation, importance du service militaire par son brassage social, abandon des patois et des langues régionales au profit du français.... Tout cela on le retrouve dans "La terre qui meurt". C'est en cela que ce livre est "moderne" et non par son "histoire" qui n'est qu'un décalque "rustique" de Roméo et Juliette.

René Bazin situe donc son roman dans le Marais breton ; une terre plate et ouverte en opposition depuis toujours avec "le bocage" , le pays vendéen situé plus à l'est . Toussaint Lumineau est le métayer de la ferme de la Fromentière. Il n'est plus tout jeune et il voudrait qu' un de ses fils reprenne la ferme. Mais c'est sans compter sur l'attrait de la modernité. Un de ses fils va le quitter pour entrer dans les chemins de fer, et l'autre , revenu du service militaire qu'il a passé en Algérie, va s'exiler en Amérique . Il y a bien sûr encore sa fille , Roussille, qui, si elle se mariait pourrait reprendre l'exploitation, mais son promis est le valet de ferme. Ce n'est pas tant le fait que Jean Nesmy soit valet qui dérange Toussaint Lumineau, mais que ce soit un boquin ! un sacré damnion de boquin du bocage ! où l'on voit que même les guerres civiles de la Révolution, vieilles de cent ans à l'époque, n'ont pas réussi a éteindre les vieux antagonismes alors que ces deux "pays" ont autant souffert l'un que l'autre des excès des "patauds".
Je peux vous dévoiler la fin. Elle ne surprendra personne : Roussille épousera Jean, ils reprendront la métairie, et ils auront beaucoup d'enfants. Non j'extrapole , René Bazin arrête son roman juste avant le mariage ..!
Ce livre est l'illustration accomplie des difficultés que rencontre le monde paysan a l'aube du XXe siècle. Tout ce que le vieux Lumineau considérait comme immuable s'écroule et se délite. A cet égard ,symbolique est la vente aux enchères des biens du château qui occupe un chapitre entier. le marquis de la Fromentière, propriétaire de la ferme du même nom, est ruiné. Ses bien sont dispersés, achetés par les gens des villes : " Il était venu du monde de très loin, des marchands de curiosités de Nantes, de la Rochelle, de Paris ". C'est bien un monde qui meurt , le "Monde d'hier". le monde paysan . Un monde rétif au changement qui puisait sa force dans la réitération de gestes et de fidélités renouvelés à chaque génération. Désormais la ville règne sans partage, et c'est elle qui dictera sa loi.
Cette lutte finale est bientôt terminée. Aujourd'hui le monde paysan est à l'agonie. Les villes plus imposantes que jamais règnent sur des "hinterland" désertés. Un paysan se suicide tous les jours. Ceux qui restent meurent empoisonnés par leurs épandages....
René Bazin, ce bourgeois catho, ce prof de droit à la Faculté Catholique d'Angers, cet académicien ...Quel visionnaire quand même :-)
Commenter  J’apprécie          278



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}