J'ignore bien comment les gens réussissent à se défaire de leurs absents.
Moi, je ne sais plus quand je suis devenu un adulte aux yeux de mon père.
Jamais, j'espère, car il n'y a rien de mieux qu'un enfant pour guérir les grands de leurs chagrins.
On meurt vraiment quand tous les gens qui nous ont aimé meurent aussi, ou quand il n'y a plus de souvenirs.
Le docteur parlait latin et grec et ne se privait pas d'utiliser l'une et l'autre langue pour crâner auprès des petites gens comme nous. C'était un homme très bien, mais du genre à descendre de vélo pour mieux se regarder pédaler.
Sans doute est-ce une émotion effroyable pour les morts qu'on a chéris que d'assister, impuissants, à l'oeuvre du temps sur nos douleurs. Tout s'estompe, hélas ou tant mieux ! Même les plus gros chagrins s'émoussent. Mais, les regrets, oh, les regrets... Toi qui me lis, souviens-toi des tiens, et tu seras d'accord : jamais ils ne disparaissent, les regrets. Ils enflent avec les années, ils vous dévorent le soir, ils teintent de tristesse le plus joyeux des rires et tournent à l'amer le plus sucré des mets. C'est là leur plus grand pouvoir sur nous.
Toutes les épreuves de la terre peuvent se dresser en travers de nos histoires d'Hommes, au moment exact où la mort frappe à la porte, les anciennes haines sont balayées, les défenses tombent et il ne reste que cela : l'urgence d'être présent pour l'autre et de ne pas céder un pouce de terrain à l'aigreur, aux regrets ou à la férocité du monde.
Les Hommes ont trois visages. Celui qu’ils montrent au monde, celui qu’ils montrent à leur famille, et celui qu’ils ne montrent à personne. La Guerre te les mélange et te les casse un peu tous.
La Mort, le Temps, c'est ce qui efface les visages.
La vie, c'est le combat de soi contre soi.
Parfois, regarder par une fenêtre suffit pour se sentir aussi libre qu'un oiseau.