Citations sur Comme des images (34)
C'est un moment comme il y en a peu dans nos vies: un -ressaisissement-. on s'habitue trop vite à traîner tous les jours dans un bâtiment qui ressemble à un château. Le mot -lycée- et le vocabulaire éducatif qui l'accompagne viennent masquer l'architecture grandiose et ses détails ciselés par l'histoire et, au bout de quelques semaines à peine, on oublie de contempler les pierres criblées de minuscules coquillages fossiles, les demi-disques de lumière découpés à l'ombre des couloirs d'un cloître, les peintures mangées, les longs pavés qui débordent de leurs jointures... Tout ça devient normal, banal, baigné d'angoisses scolaires. (p.143)
Oh, pas seulement le résultat du contrôle, mais ce que cela prophétisait de notre vie d'après. Derrière chacun de nous sur le bord de sa chaise se tenait une famille qui agrafait des espoirs et des exigences depuis sa naissance à ses photos de classe et qui répétait Mais oui, ma fille est en seconde à Henri-IV, elle va être chirurgienne, polytechnicienne, astrophysicienne, agrégée de mathématiques. (p.16-17)
J'ai toujours détesté les groupes : ils excluent les gens, ils ont des codes, des secrets. Si seulement les autres me laissaient les lire ! Je rêve d'un peu plus de transparence.
Tout le monde se confond avec tout le monde. On s’attend toujours à ce qu’on arrive pile à tel endroit, à tel moment, et donc c’est toujours exactement ce qu’on fait – on pourrait aussi bien être quelqu’un d’autre sans que ça se remarque. On passe d’une personne à l’autre, on parle à l’un comme à l’autre, on confond tout le monde… On se laisse tomber et on se récupère comme si rien n’était arrivé. Il n’y a rien de solide nulle part, rien ni personne n’est irremplaçable. On vit parmi nos propres doublures. Et même quand, une fois de temps en temps, on essaie de se faire un peu imprévisible, ça rebondit sans même denter la carrosserie.
-Ah, je vois que nous avons maintenant une deuxième mademoiselle Gauthier, a remarqué la prof de français. Iseult et Léopoldine… Vos parents ont l’air d’aimer les prénoms féminins à destinée tragique !
Et Frédéric Buisson et Frédéric Genovese, tendus comme des ressorts, ancraient leur regard dans celui, narquois, du prof de maths, qui détenait la réponse en lui comme un sésame.
Oh, pas seulement le résultat du contrôle, mais ce que cela prophétisait de notre vie d’après. Derrière chacun d’entre nous sur le bord de sa chaise se tenait une famille qui agrafait des espoirs et des exigences depuis sa naissance à ses photos de classe et qui répétait Mais oui, ma fille est en seconde à Henri-IV, elle va être chirurgienne, polytechnicienne, astrophysicienne, agrégée de mathématiques.
Ça, c’est pour situer.
Et là, je me dis:
Que c'était bien la peine de se mettre en scène comme ça, Léo, Iseult, moi et tout le monde, à faire des tragédies et des drames dans un théâtre où les pierres sont trop traîtres.
(...)
qu'on est trop les uns sur les autres à se chercher des poux, à se chercher des amis, à se chercher des raisons de chercher des amis.
Qu'on ne comprend jamais pourquoi on aime certaines personnes, et pourquoi on en déteste d'autres, et c'est infernal cette incompréhension. (p.203)
Voilà pourquoi il lui a fait ça, en vérité ; parce qu’il voulait qu’elle non plus ne soit plus elle mais une chose ; plus une personne mais une image.
Il faut parler. C'est infernal, ce silence.
Tout le monde ne passe pas en première S, il y en a qui se font expulser, et sans passer en S tu ne peux pas passer en prépa scientifique, et sans prépa scientifique tu peux faire une croix sur le reste de ta vie.