J'ai longtemps cru que l'homme se révélait dans les épreuves et l'adversité. C'était ce que m'avaient appris mes maîtres, en Saintonge, et la leçon s'était souvent vérifiée au cours de ma vie de flibustier.
Le hollandais releva la tête en m'entendant entrer et m'accueillit aimablement :
- Capitaine Villon, comment allez-vous ce matin ?
- A ravir, vraiment ! Mon téton me lance tant qu'on pourrait le croire encore rattaché à ma poitrine. Votre boucher accorde-t-il audience à cette heure ?
- Je crains que l'honneur d'avoir opéré si prestigieux patient ne l'ait submergé d'émotion, au point de fêter sa réussite jusqu'à potron-jacquet.
- Jolie manière de m'avertir que le praticien local me ferait plus de mal que de bien... J'enrageai : ce sac à vin m'avait cisaillé la couenne et je souffrais pire qu'un damné.
- Mort de moi, grinçai-je en massant ma blessure, il n'y a ici aucun autre coquin qui sache un peu manier la lancette et les aiguilles ?
- Je ne crois pas, capitaine. Peut-être à bord d'un des navires attendus ?
- Où est mon tortionnaire ? Je me contenterai de ses soins d'ivrogne pour le moment.
- J'lai vu s'en aller ronfler sur la plage, intervint un des miliciens.
- Un pièce pour toi si tu m'y conduis.
L'homme lâcha ses dés et se releva pour me guider. Je le suivis en maugréant. [...]
Dans la crique, plusieurs barcasses et quelques schooners dodelinaient sous le soleil. Je n'aperçus aucun bâtiment susceptible d'appartenir à un capitaine corsaire du nom d'Ermentiers. Était-ce à dire que son bateau avait déjà pris le large ? Il faudrait que j'en reparle à Main-d'or, peut-être aurait-il observé quelque levée d'ancre avant mon réveil. Christ mort, j'aurais de loin préféré rencontrer les officiers du défunt pour dissiper tout malentendu, et cette fuite nocturne n'était pas pour me rassurer. La voix du milicien m'arracha à mes inquiétudes :
- Le voilà, capitaine, plus lent qu'une tortue.
Effectivement, le pendard n'était pas allé bien loin. Vautré sur le sable épais de la plage, la nuque cuite par la chaleur et les fesses à l'air, mon chirurgien avais la posture caractéristique des videurs de barriques. La pointe de mon épée enfoncée dans le lard de son cul rougit ne lui arracha rien de plus qu'un pet gras et méphitique. J'avais à ma merci l'ensemble du collège médical de l'île et je fus tenté un court instant de rendre le poste vacant... Mes coutures allaient devoir se passer d'une seconde opinion : cet arsouille ne décuverait pas avant la fin de la journée, à condition que les crabes ne le grignotent pas.
- Maudit cachalot ! Qu'il finisse de rôtir en enfer !
Je donnais au soldat le paiement convenu et le laissai retrouver ses dés. Soulevant péniblement ma chemise, je pus constater que la plaie suppurait sous le fil noir et que les chairs avaient gonflé autour.
- Foutre, damné corsaire !
C'est là que me retrouva le Baptiste, plus excité et jovial qu'une nonne ayant dérobé un cierge, pendant que je finissais mon quart de vin.
Il y a dans les vindictes populaires des haines qu'aucun argument ne sait éteindre tant que n'a pas coulé le sang.
J'aurais été prêt, si l'occasion m'en avait été donnée, à clamer haut et fort qu'Arcadio et les siens nous étaient bien supérieurs, à nous autres soi-disant civilisés qui avions perdu le sens de la vie sauvage. (P.144 Folio SF)
p.280.
Une machine à savoir en permanence où se trouve un homme et ce qu’il fait ou dit. Diablerie ! Non, pire que cela : invention corrompue, vicieuse et impure. Liberticide. Je forçai aussi Pakal à me montrer ou était ce micro caché sur moi et lançai le petit dispositif également dans la mer. C’était écœurant. Je me sentis humilié et, pour tout dire, profané.
p.245.
Plus tard je me pissai dessus en regrettant que mon tortionnaire ne fût pas resté assez longtemps pour assister aussi à cette conclusion d’un spectacle qu’il avait orchestré et dont il était responsable, quoi qu’il en dise.
p.192.
D’une certaine manière, c’était comme si le nombre de réfugiés, après avoir grossi au point de mettre en péril nos maigres réserves, avait soudain passé le cap critique au-delà duquel la somme des individus dépassait le fruit du labeur individuel. En tout cas, ce fut en ces termes que je résumais la situation à chaque fois que je constatais les progrès effectués.
p.164.
Nous étions venus mettre un terme à un monopole nocif, qui empoisonnait lentement les comptoirs caraïbes ; désormais, il était question de justice, de vengeance, de la cause éternelle des faibles injustement exposés aux lois du lucre et de l’avidité.
J’ai longtemps cru que l’homme se révélait dans les épreuves et l’adversité