...nous n'étions que des ombres glissant sur l'écume du temps.
— Merci messieurs, conclus-je. Peut-être pourrons-nous nous revoir quand l'un d'entre nous aura une idée brillante à nous soumettre ?
Je fis rapidement le tour de la table. Et je compris que si telle idée devait naître, elle ne saurait venir que de ma pauvre caboche usée. Cette simple constatation me donna envie de me saouler un peu plus que d'ordinaire...
Vivant ou mort, nous devons rester debout.
- Si tu ne sais pas comment te battre, vise toujours un os, m'avait dit Arcadio. C'est plus sûr.
Privez un homme de tout, faites de chacune de ses heures un enfer vivant, tourmentez-le assez pour qu'il trouve seulement réconfort dans l'idée de votre mort, puis persistez suffisamment pour qu'il n'ai plus même la force de s'en réjouir. Vous disposerez alors d'une bête humaine incapable de penser, de s'opposer ou de seulement se dresser. Marée mais ingrate. Mais prenez ce même homme, martyrisez le tout autant en veillant toutefois à lui accorder la plus infime des satisfactions, l'espoir le plus ténu... Agitez ostensiblement ce lumignon au cœur des ténèbres de son infortune, et il viendra de lui même laper vos chevilles pour jouir encore d'un autre lever de soleil.
Je reconnus bien là le caractère de bon samaritain de mon ami. Berger d'honnêtes gens et chasseur de coquins, voilà un travail qui lui allait comme un pucelle à un évêque.
Le progrès devenait vite une source d'inquiétude, quand il était partagé par tous en temps de guerre.
Sur nos visages, le soleil, mais dans nos yeux les escarbilles. Le spectacle de la cité espagnole était poignant. Des haubans, depuis le pont, par les sabords, les hommes du Déchronologue contemplaient le sinistre tableau sans ricaner ni se réjouir. C’était une chose de se lancer à l’assaut d’une muraille ou d’un port ennemi, de repousser milice ou garnison au nom de la vengeance ou de la soif de l’or. C’en était une autre de revenir sur les lieux d’un crime pour en railler les tombes.
Les méandres du temps sont imprévisibles, […] mais en définitive nul n’y échappe. Ce qui doit nous échoir nous échoira.
S'en était suivie une curée féroce, qui avait fait luire de convoitise les regards de mes marins, forbans sans patrie unis surtout par le goût de la fortune et la haine de l'Espagnol. Moi, serré dans ma vareuse d'apparat enfilée pour l'occasion, je n'avais pas ressenti la moindre joie. Christ mort, c'était comme de réécrire l'histoire ! J'avais eu l'impression d'effacer mille vies comme on biffe un paragraphe. Abominable sentiment.