Son bonheur avait éclaté, mais il retombait tout autour d’elle en une pluie d’instants passionnés.
L’angoisse qui la saisit soudain était si violente qu’elle eut presque envie de crier ; c’était comme si brusquement le monde se fût vidé ; il n’y avait plus rien à craindre, mais plus rien non plus à aimer. Il n’y avait absolument rien. Elle allait retrouver Pierre, ils diraient ensemble des phrases, et puis ils se quitteraient ; si l’amitié de Pierre et de Xavière n’était qu’un mirage creux, l’amour de Françoise et de Pierre n’existait pas davantage ; il n’y avait rien qu’une addition indéfinie d’instants indifférents ; rien qu’un grouillement désordonné de chair et de pensée, avec au bout la mort.
vivre un truc, ça ne veut pas dire le subir stupidement; j'accepterais de vivre à peu près n'importe quoi, justement parce que j'aurais toujours la ressource de le vivre librement (p 296)
Françoise était n'importe qui, et n'importe quoi soudain était devenu possible.
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Françoise avait enlevé son manteau, elle fit glisser sa robe et passa sa chemise de nuit.
Puis s'était assise au bord du divan et regardait d'un air perplexe ses pieds déchaussés. La soquette droite était trouée et elle apercevait son gros orteil qui semblait la fasciner .
De leur absence à leur présence le passage avait été comme toujours insaisissable.
Cent francs pour ton bonheur, ce n’est rien ; combien veux-tu payer pour ton bonheur ; vingt francs?
- Rien du tout.
Son visage s'était éclairé de plaisir. Gerbert les regarda tous deux avec envie ; ça devait donner de la sécurité de se sentir si importants l'un pour l'autre. Peut-être que lui-même, s'il avait compté vraiment fort pour quelqu'un, il aurait compté un peu davantage à ses propres yeux ; il n'arrivait pas à accorder de valeur à sa vie ni à ses pensées. (p. 328)
Les corps étaient jeunes et les cheveux aux couleurs trop exactes, et même le ferme dessin des visages, mais cette jeunesse n'avait pas la fraîcheur des choses vivantes, c'était une jeunesse embaumée ; ni ride, ni patte-d'oie ne marquait les chairs bien massées ; cet air usé autour des yeux n'en était que plus inquiétant. Ça vieillissait par en dessous ; ça pourrait vieillir encore longtemps sans que craquât la carapace bien lustrée et puis, un jour, d'un seul coup, cette coque brillante devenue mince comme un papier de soie tomberait en poussière ; alors on verrait apparaître une vieillarde parfaitement achevée avec ses rides, ses tavelures, ses veines gonflées, ses doigts noueux. (p. 179)
Elle regarda Gerbert avec un peu d'agacement ; un amour, c'était tout de même moins simple qu'il ne pensait. C'était plus fort que le temps, mais ça se vivait quand même dans le temps et il y avait instant par instant des inquiétudes, des renoncements, de menues tristesses ; bien sûr, tout ça ne comptait guère, mais parce qu'on refusait d'en tenir compte : il fallait parfois un petit effort. (p. 156)