J'ai touché sa joue droite : "Tu me sens ? - Oui, mais comme en rêve." J'ai touché sa joue gauche : "Ça, c'est réel", m'a-t-elle dit. Le fémur cassé, la plaie, les pansements, les sondes, les perfusions, tout se passait du côté gauche. Était-ce pourquoi l'autre semblait ne plus exister ?
Ses souvenirs, ses désirs, ses soucis flottaient hors du temps, transformés en rêves irréels et poignants par sa voix puérile et l'imminence de sa mort.
Penser contre soi est souvent fécond ; mais ma mère, c'est une autre histoire : elle a vécu contre elle-même.
Entre ses accès de colère, elle ne cessait de chanter, de plaisanter, de bavarder, étouffant sous le bruit les murmures de son cœur.
Tous mes chagrins, jusqu'à cette nuit, je les avais compris : même quand ils me submergeaient, je me reconnaissais en eux. Cette fois, mon désespoir échappait à mon contrôle : quelqu'un d'autre que moi pleurait en moi.
"La mort elle-même ne m'effraie pas : j'ai peur du saut."
Dur travail, de mourir, quand on aime si fort la vie.
Qu’on l’imagine céleste ou terrestre, l’immortalité, quand on tient à la vie, ne console pas de la mort. (p. 108)
Je ne tenais pas particulièrement à revoir maman avant sa mort; mais je ne supportais pas l’idée qu’elle ne me reverrait pas. Pourquoi accorder tant d’importance à un instant, puisqu’il n’y aura pas de mémoire ? Il n’y aura pas non plus de réparation. J’ai compris pour mon propre compte, jusque dans la moelle de mes os, que dans les derniers moments d’un moribond on puisse enfermer l’absolu. (p. 74)
Il n'y a pas de mort naturelle : rien de de qui arrive à l'homme n'est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s'il la connaît et y consent, une violence indue.