Pour moi, ma mère avait toujours existé et je n’avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaître un jour, bientôt. Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mythique. Quand je me disais : elle a l’âge de mourir, c’étaient des mots vides, comme tant de mots. Pour la première fois, j’apercevais en elle un cadavre en sursis.
« Aujourd’hui, je n’ai pas vécu — Je perds des jours. » Chaque journée gardait pour elle une valeur irremplaçable. Et elle allait mourir. Elle l’ignorait mais moi je savais. En son nom, je ne me résignais pas.
Je la faisais parler, je l’écoutais, je commentais. Mais, parce qu’elle était ma mère, ses phrases déplaisantes me déplaisaient plus que si elles étaient sorties d’une autre bouche.
Rien de ce qui arrive à l'homme n'est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s'il la connaît et y consent, une violence indue.
Seulement, ce corps, réduit soudain par cette démission à n'être qu'un corps, ne différait plus guère d'une dépouille : pauvre carcasse sans défense, palpée, manipulée par des mains professionnelles, où la vie ne semblait se prolonger que par une inertie stupide. Pour moi, ma mère avait toujours existé et je n'avais jamais sérieusement pensé que le verrais disparaître un jour, bientôt. Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mythique. Quand je me disait elle a l'âge de mourir, c'était de mots vides, comme tant de mots. Pour la première fois, j'apercevais en elle un cadavre en sursis.
Tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s’il la connaît et y consent, une violence indue.
Derrière ceux qui quittent ce monde, le temps s’anéantit ; et plus j’avance en âge, plus mon passé se contracte.
Sa mort nous découvre sa singularité unique ; il devient vaste comme le monde que son absence anéantit pour lui, que sa présence faisait exister tout entier ; il nous semble qu’il aurait dû tenir plus de place dans notre vie : à la limite toute la place. Nous nous arrachons à ce vertige : il n’était qu’un individu parmi d’autres.
Qu’on l’imagine céleste ou terrestre, l’immortalité, quand on tient à la vie, ne console pas de la mort.
Pourquoi accorder tant d’importance à un instant, puisqu’il n’y aura pas de mémoire ? Il n’y aura pas non plus de réparation. J’ai compris pour mon propre compte, jusque dans la moelle de mes os, que dans les derniers moments d’un moribond on puisse enfermer l’absolu.