On a repris les vélos. Une bonne ambiance dans l’air, grâce aux langues étrangères. Notre équipe reflétait les derniers rayons du soleil. L’après-midi se consumait à petits feux et déclinait dans le ciel du côté américain de l’horizon. […]. Le soleil pouvait à présent faire sa révérence au jour mourant et embraser une ultime fois la surface lisse et opaque de son amante la mer.
― C’est quand que tu achèteras, le golden retriever ?
J’ai prétendu que je réfléchissais encore. Cette adoption méritait réflexion, non ?
Elle avait préparé sa seconde salve
― Pour le divorce avec maman, tu as beaucoup moins réfléchi que pour le chien !
On rentre chez nous, là où tous les gens ont la même tête que nous, c’est ce petit détail qui me manque le plus et que j’aime le plus. Je sais que je n’aurai pas peur de me retrouver au milieu de mes semblables. Pas comme en France où je suis trop différent des gens d’ici, je le sais, je le sens dans leurs yeux.
Son visage ressemblait à un coquillage ridé. Il avait des yeux bleu pâle enfoncés très près l’un de l’autre. Son nez tombait sur la lèvre comme un crochet. Mon père avait les mêmes rides que lui. Pas les mêmes yeux. Les siens étaient noirs comme des olives lustrés et d’une vivacité caractéristique des gens des hauts plateaux sétifiens.
Je bavais. La colère ne me lâchait pas la gorge. On me traitait comme un pneu de cycle, la dernière roue du carrosse. J'étais devenu un distributeur de pensions alimentaires et compensatoires. Je devais me satisfaire de cette fonction. Point barre. Un père ça tient debout, ça balise le chemin des autres, ça informe ceux qui suivent des dégâts de la navigation à vie, des récifs, des écueils et autres brisants. Ca passe son temps à baliser, à éclairer. Voilà, j'avais trouvé un nouveau synonyme de père : éclairagiste.
Et un autre : lampiste.
Je soliloque à haute voix, la Bretagne est une île et ses habitants des nomades comme ceux de ma tribu, je n'ai aucune raison d'avoir peur d'eux, au contraire, aux plis de leurs visages, on voit bien qu'ils savent ce que partir veut dire. Ils ont leur identité en poupe, prêts à l'abordage sur toutes les rives du monde.
Heureusement, les jours sont des enfants uniques.
Un père ça endure ou ça démissionne.
J'ai des poches sous les yeux, où sont stockés tous les résidus de mes cauchemars.
Avec Yvon, j'ai appris que les méandres de la mélancolie sont tortueux et que la douleur d'être loin de chez soi ne se mesure pas en kilomètres sur une carte Michelin.