La Nuit Sacrée/
Tahar Ben Jelloun/Prix Goncourt 1987
«
L'Enfant de Sable » se terminait un peu dans la confusion de par les versions différentes narrées par les conteurs sur les places publiques. Pas de dénouement véritable : qu'était vraiment devenu Ahmed ? Ce récit labyrinthique m'avait un peu déconcerté.
Dans «
La Nuit Sacrée », c'est Ahmed/Zahra alors âgée, qui devient la conteuse. Elle va raconter au début comment elle a été libérée de son travestissement par son père sur le point de mourir. Elle a alors environ 20 ans et cette nuit sacrée, « nuit du Destin selon la mystique coranique, moment où Dieu fixe le destin de chacun », va marquer à jamais sa vie car elle choisit. Ce choix sera confirmé lors d'un épisode saisissant au cours duquel Zahra se dépouille de tous les attributs de son ancienne identité sur la tombe de son père et les enfouit sous terre.
Il s'agit donc d'une suite possible à «
L'Enfant de Sable, la vraie version : Zahra va rétablir les faits qui ont été travestis par les conteurs pour attirer les foules.
Tout au long de ce récit multiforme au style souvent métaphorique émaillé de délires oniriques, Zahra va chercher sa voie et la rencontre de l'Assise gardienne du hammam et de son fils probable le Consul crée une ambiance surréaliste, confuse et trouble. Elle va se livrer comme elle dit à un état des lieux et de ces deux personnages. Peu à peu, va évoluer la relation entre le Consul aveugle et Zahra libérée qui va enfin connaître le plaisir et l'amour jusqu'aux drames qui se succèdent jusqu'à la fin.
Selon moi, ce roman est plus abouti que «
L'Enfant de Sable ».
Je ne citerai qu'un passage de cette histoire magnifique écrite par
Tahar Ben Jelloun dans ce si beau style qu'on lui connaît. Il évoque la rencontre de chair entre Zahra et le Consul .
« le miracle avait le visage et les yeux du Consul. Il m'avait sculptée en statue de chair, désirée et désirante. Je n'étais plus un être de sable et de poussière à l'identité incertaine, s'effritant au moindre coup de vent. Je sentais se solidifier, se consolider, chacun de mes membres. Je n'étais plus cet être de vent dont toute la peau n'était qu'un masque, une illusion faite pour tromper une société sans vergogne, basée sur l'hypocrisie, les mythes d'une religion détournée, vidée de sa spiritualité, un leurre fabriqué par un père obsédé par la honte qu'agite l'entourage. Il m'avait fallu l'oubli, l'errance et la grâce distillée par l'amour, pour renaître et vivre. »
Sublime !